Ma vie, ma vie... Je ne pense pas qu'il y ait grand chose d'intéressant à raconter. Néanmoins, je peux bien vous faire ce petit plaisir. Comme ça, avec un peu de chance, si jamais par malheur je me fais arrêter par ces psychopathes de la Grande Purge ou d'autres malades du genre, il restera peut-être quelque chose de moi... Bref, commençons.
Je suis né le 10 janvier 1981, dans la ville d'Inari, en Finlande. Mes parents vivaient dans un petit village situé à une cinquantaine de kilomètres de là, au bord d'un immense lac. La rive ouest était recouverte d'une épaisse forêt de conifères. Il neigeait durant tout l'hiver, mais aussi pendant une bonne partie du printemps et de l'automne.
Je m'en souviens comme si c'était hier... C'était le genre de communauté où tout le monde se connait, et où on dit bonjour à tous quand on se croise dans la rue. Beaucoup d'enfants auraient rêvé de la ville, mais pas moi. J'adorais ces rues que je connaissais par coeur, cette place avec sa fontaine où nageaient quelques poissons, et les longues promenades en forêt que je faisais en compagnie de ma bande d'amis. Pour rien au monde je n'aurais voulu changer de vie.
Mon enfance n'eut rien de vraiment spectaculaire. Elle fut on ne peut plus normale. Des parents aimants et attentionnés, des résultats scolaires convenables -excellents en musique et littérature mais déplorables dans les matières scientifiques-, j'eus même plusieurs animaux de compagnie. Rien d'extraordinaire, hein ? C'est même banal, voire ennuyeux à mourir, selon le point de vue. Mais enfin... Les choses se corsèrent un peu lorsque j'arrivai à l'adolescence.
J'étais un jeune garçon plutôt doux, bien que j'avais mes accès d'excentricité. Il arrivait que je m'agite dans tous les sens sans raison apparente, amusant la galerie souvent malgré moi. C'est à l'âge de seize ans que je connus ma première véritable relation amoureuse. Et avec un adolescent plus âgé que moi de deux ans. Quand j'eus le courage d'annoncer la nouvelles à mes parents, mon père ne le prit pas franchement bien... Il fut amer quelques temps, mais heureusement pour moi, ma mère parvint à adoucir ses humeurs.
Quelques mois passèrent ainsi, tranquillement. Je me sentais bien. Enfin... Ca, c'était avant que je ne tombe malencontreusement sur mon amant en train de s'envoyer en l'air avec un autre. Pour être tout à fait honnête, aujourd'hui encore je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé. Tout ce dont je suis certain, c'est que j'ai vu rouge. Pour la première fois de ma vie, j'étais réellement furieux. Je me suis changé en loup, et me suis jeté sur eux. Avec un grondement féroce, j'ai planté profondément mes crocs dans la chair de mon petit-ami -enfin, plutôt mon ex petit-ami vu les circonstances. Tout est si flou... Je ne me souviens plus que d'une chose, suite à ça. Moi qui brise la fenêtre pour m'enfuir en courant dans les bois.
Ce n'est qu'une fois perdu entre les arbres, au beau milieu de la nuit, que je réalisai l'ampleur de mes actes. J'étais un Mutant. J'en avais entendu parler, mais je n'avais jamais envisagé que je puisse en être un. Quand je parvins finalement à reprendre forme humaine, je filai derechef chez moi, pour chercher des réponses auprès de mes parents. A ma grande stupeur, j'appris que mon père était lui-même un Mutant. Son don était très différent du mien, puisque lui manipulait les plantes. Cependant il put quand même m'enseigner à maîtriser mes pouvoirs. Ce dont je lui suis encore infiniment reconnaissant aujourd'hui. Ah, et évidemment, on ne put rester dans notre petit village. Les rumeurs se propagent plus vite qu'une traînée de poudre dans ces patelins, croyez-moi... C'est donc plus ou moins de ma faute si nous déménageâmes. Et tant qu'à faire, mes parents décidèrent de se rendre en Amérique.
Ma vie changea radicalement... D'un hameau perdu en Finlande, je passai à New York. Autant dire que j'eus un mal de chien à m'adapter ! Heureusement pour moi, le conservatoire de musique dans lequel je poursuivis mes études était plutôt tranquille. J'y terminai ma scolarité, tout en continuant de suivre des cours auprès de professeurs particuliers.
Fraîchement diplômé et tout jeune professeur, je parvins à décrocher un poste dans une école assez modeste. Je pris un appartement dans un quartier paisible. Ma vie était des plus banales, et je profitai de l'intimité de mon chez-moi pour batifoler comme un chien fou, lorsque j'avais envie de dégourdir mes pattes de loup.
Enfin bref... Je crois que ma rencontre avec d'autres Mutants restera l'un des événements les plus marquants pour moi. Ils étaient deux, un frère et sa soeur. Soren avait la capacité de déplacer les objets par télékinésie, tandis que Kaya, comme moi, pouvait se changer en louve. Une forte amitié nous lia rapidement les uns aux autres. A vrai dire, on s'amusa même à nous donner des surnoms, en rapport avec nos pouvoirs de Mutant. Soren était Merlin (très original, je sais, vous avez le droit de rire, je ne me vexerai pas), Kaya c'était Managarm, et moi je portais le nom de Sköll. Vous savez, le loup de la mythologie nordique, fils de Fenrir, qui poursuit le Soleil afin de le dévorer. Et le temps passant, une chose en amenant une autre... Kaya et moi tombèrent amoureux. Bien qu'au début j'eus du mal à lui faire confiance et que je me montrais particulièrement méfiant et suspicieux, notre relation dura plusieurs longues et délicieuses années. On emménagea ensemble, et même si on ne croyait pas vraiment au mariage, on envisageait d'avoir des enfants, dans un futur plus ou moins proche. ... Mais ça, c'était avant... Avant tout ça.
Lorsque les Mutants sortirent de l'anonymat et que les choses commencèrent à tourner au vinaigre, Kaya et Soren prirent peur. Je tentai de les rassurer, leur disant que si on faisait profil bas rien ne pourrait nous arriver, qu'on serait en sécurité. Malheureusement, ils ne m'écoutèrent pas... Ne comprenant pas ma position sur la situation, m'accusant d'être un lâche et un trouillard, la jeune femme finit par me quitter.
Quelques mois plus tard, elle et son frère tentèrent de prendre la fuite, pour rejoindre la Confrérie, je crois... Seulement ils n'y parvinrent jamais. Ils furent abattus par la milice de la Grande Purge, alors qu'ils tentaient de traverser la ville malgré le couvre-feu instauré. Et moi, je continuai ma vie comme si de rien n'était, dispensant mes cours de violon au conservatoire, écrivant durant mon temps libre le manuscrit de mon troisième ouvrage.
Jusqu'à présent, j'ai réussi à passer inaperçu, à passer entre les mailles du filet. Mais j'ai peur que ma chance ne dure pas. Parfois, je rêve de partir vivre comme un loup, parmi les bêtes. Ce serait tellement plus simple... Cependant ça ne reste jamais qu'un rêve insensé, je ne peux pas me le permettre. Et puis... Je crois qu'il serait temps que je montre les crocs. Ne me prenez pas pour une peluche. Je sais mordre. Et mordre fort.