NOTT ☾ « There are truths which one can see only when it’s dark. »

« Fut un temps, je vous aurais affirmé avec douceur que l'humanité n'est qu'une enfant en demande d'indépendance, ayant besoin de grandir, de comprendre et de s'épanouir. Je vous aurais soufflé que leurs songes sont d'or et que leur bonté est véritable, même si plongée dans l'obscurité. Sans doute l'aurais-je défendue à grand renfort de compréhension pour tenter de vous faire intégrer combien la peur la fait trembler. La vérité, c'est que j'étais naïve. Les mortels ne comprennent rien, n'apprennent pas de leurs erreurs, s'aveuglent face aux différences. Certains mériteraient peut-être d'être sauvés mais beaucoup ont besoin d'un dirigeant capable de leur tracer une route meilleure, moins violente, au-delà de leurs conflits sur les mutations, les capacités possédées. A dire vrai, les plus évolués ou puissants ont toujours fait peur aux autres, d'aussi loin que je me souvienne. Odin pense sûrement la même chose de nous, lui qui a abandonné Asgard a un chaos similaire. Aucune terre n'est plus à l'abri, quelque soit le royaume. »

« Eliminer l'un ou l'autre des camps. Il n'y a pas de solution viable temps que les opposés restent campés sur leurs positions, et en toute honnêteté, je doute qu'ils soient aptes au pardon. La Purge est une énième absurdité survenue pour montrer sa puissance. J'ai toujours pensé qu'il y a d'autres méthodes que l'éradication pure et simple afin de se sortir du pétrin. J'ai eu trois époux et je suis encore de ce monde. Quant à l'avenir... qu'Asgard retrouve un état potentiellement normal. Quoi que cela m'offre une excuse formidable pour voguer en toute indépendance sur Terre. En esquivant les tirs ennemis et l'humanité enragée. Bon, d'accord, que la situation retrouve un peu de normalité, c'est tout ce à quoi j'aspire. Le reste viendra en temps et en heure. »

Sur le dos d'Hrimfaxi survole la Nuit, dont la monture peint le ciel, fait naître la rosée. L'épouse du Crépuscule répète inlassablement sa chevauchée, remplacée bientôt par son fils, lumineux. Nòtt, la mère, la femme, la conseillère des nuits des hommes, changeante et lunatique, ne reconnaît plus l'univers dans lequel elle a grandi. Fille d'une inconnu, jamais vraiment certaine de son affiliation, elle est l'orpheline vendue en mariage, offerte à la responsabilité d'un premier homme, puis d'un second. On la dit petite-fille de Loki, on la dit calme et observatrice. Elle est vent de rébellion, silence calculateur, volonté de liberté. Dans les palais d'Asgard, elle élève ses enfants, elle veille sur leur bonheur, quand bien même Aud, Jörd et Dag n'aient pas le même père.

Asgard, sa complexité, ses dieux et ses rivalités. Une source permanente de conflits, de combats entre frères, soeurs, parents en tous genres. Qui n’est pas lié d’une manière ou d’une autre, là-bas ? Les ramifications des arbres sont si nouées que l’on s’y perdrait. Jeune fille docile et tendre, elle apprit avec les années qu’une femme ne pouvait se permettre d’être aussi gentille, Sygin étant la preuve vivante qu’on ne fait qu’en souffrir, quand bien même le bonheur semblait poindre à l’horizon. A son premier époux, Nòtt fut fidèle et quelque peu soumise, lui donnant très tôt un fils. Un fils qui ne fit pas d’exploits particuliers, dont les mortels ne gardent que peu le souvenir.

« Sois bon et pardonne. » lui répétait-elle souvent, passant dans ses cheveux ses doigts fins. L’enfance n’est rien dans cette presque éternité, si bien qu’avant d’avoir tourné la tête, le gamin divin n’en était plus un. C’est l’impression qu’elle en garde, encore aujourd’hui. Alors le désir de materner revint. Nul ne sait pourquoi la séparation fut consommée, pourquoi elle fut offerte à Anar, dont elle eut une fille : Jörd. Jörd, la si belle. Oh certes, elle n’égalait pas le charme de Hnoss, trésor parmi les trésors, mais aux yeux de la Nuit, elle était l’unique besoin, l’unique raison d’avancer, d’observer cette loi imposée par le mariage, cette sacrosainte fidélité. Après dix longues années, la brune aux billes claires se surprit à poser un oeil envieux sur une autre divinité masculine, réalisant combien, en fin de compte, les autres n’étaient peut-être pas si débauchés, juste en recherche d’amour, de distraction ou de nouveauté. La sagesse muait en curiosité, en envie de découvertes.

Avant qu’elle n’épouse Dellig, nul doute qu’il y eut un amant dont elle a su taire le nom. Nul doute qu’elle tenta l’aventure d’une passion éphémère, sans lendemains durables, sans promesse. Le Crépuscule était beau, séduisant, d’un charme incandescent. Le Crépuscule parvint à l’obtenir, à la faire plier à son envie d’énièmes épousailles. Jusqu’à la naissance de Dag, ils furent heureux ; enfin, la nocturne se sentait vivre, se sentait épanouie et ne désirait plus s’éloigner. Odin, cependant, vint perturber la quiétude familiale, imposant à la mère et au fils de régler le cycle du temps par leur passage. Ainsi, quotidiennement, Nòtt se devait de monter sur le magnifique char offert et de précéder son fils, couvrant de son domaine le ciel qui serait éclairé par Dag dés l’aube. Ce petit manège, à l’origine, ne fut pas si contraignant. Mais plus les siècles passaient plus la lassitude s’imposait. La brune était sujette à l’ennui, à l’insoumission latente. Du silence doux vint la parole. De ses sourires tendres vint l’humour noir. De ses paradoxes vint la surprise. Elle changeait.

Ce n’est qu’il y a peu qu’elle opta pour fuir définitivement ses terres d’origine, Odin plongeant dans un sommeil régénérateur avant que tout ne sombre dans le chaos. La situation, toutefois, ne s’avéra en rien plus reluisante à New York où la Purge prit place, sous le regard aussi désabusé que méprisant de la déesse un brin désillusionnée. Elle qui voyait les hommes comme des enfants à protéger intégra une part du point de vue divin : ils ne valaient pas mieux que des bêtes sauvages. Là où les héros étaient admirés, là où les supers aidaient, il n’y avait plus qu’une chasse sanglante à la différence, une chasse muée par la peur, par le racisme, comme cela s’était déjà produit. L’humanité craint ce qu’elle ne comprend. L’humanité n’apprend pas. Nòtt, avide d’une liberté totale, finit par songer que les mortels, eux, auraient besoin d’un chef pour les recadrer, les renvoyer sur le droit chemin.

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