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Eve Bennett - A road through destiny - Past & Flashbacks

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Mar 30 Jan 2018 - 15:48
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Chapitre 1 : Impuissance


- Je suis rentrée !

Seul le silence répondit à la petite fille aux cheveux d'or. Ses yeux noisettes se baissèrent légèrement. Déçue ? Pas vraiment. Elle s'y attendait. Cela faisait des jours qu'elle ne voyait pratiquement plus ses parents, quant à William, cela se comptait en années... Le travail, les études, autant de raisons qui faisaient qu'à 11 ans Eve vivait pratiquement en autonomie. Elle ne s'en plaignait pas spécialement au final... Lorsqu'ils étaient là, la seule chose dont parlaient ses parents était le travail, du moins quand ils ne se hurlaient pas dessus.

Posant son sac dans l'entrée au pied de l'escalier, elle poussa un léger soupir avant d'entendre des raclements en provenance de la cuisine. Redressant la tête, le visage illuminé d'un grand sourire, elle couru ouvrir la porte et libérer les deux labradors sable enfermés qui l’accueillirent avec tout l'amour du monde, lui sautant dessus avec joie.

- Hey ! Hey, moi aussi je suis contente de vous voir ! rit-elle innocemment.
- On va dehors ça vous dit ?

Les deux canins se précipitèrent vers la baie vitrée pour seule réponse, tournant en rond d'excitation en attendant leur jeune maîtresse. Elle prit une pomme sur le comptoir et les laissa sortir en premier dans le jardin, les suivant d'un pas léger. Ils étaient ses rayons de soleil dans cette grande maison vide. Sincères, purs, elle avait grandi avec eux et n'imaginait plus sa vie sans ces deux boules de poils. Croquant dans sa pomme à pleine dent elle oublia un instant sa journée et les regarda se rouler dans l'herbe d'un air attendri.

Tous les jours, Eve rentrait et enclenchait sa routine. Elle ouvrait la porte, mettait un pied dans la maison, annonçait son arrivée, puis écoutait. Si il y avait quelqu'un, si sa mère travaillait à l'étage, si elle lui répondait, combien de temps elle mettait à lui répondre, quels mots elle utilisait... Puis elle entrait et fermait la porte derrière elle, posant son sac et demandant si ça allait, ne faisait rien d'autre qu'écouter. Enfin elle montait pour faire face à sa mère et reposait la question, en l'observant cette fois. Son ton, son langage corporel... Était-elle angoissée par le travail ? Y avait-il un problème ? S'était-elle disputé avec son père ? Analysant tout ce qu'elle pouvait, elle essayait de déterminer de quoi elle pouvait parler le soir sans risquer de déclencher une nouvelle crise.
Les disputes étaient aussi fréquentes que violentes. Elle ne voulait pas prendre le moindre risque. Ainsi elle savait toujours à quoi s'attendre. C'était mieux comme ça...
Eve n'avait pas conscience que cette routine était tout sauf normale, qu'aucun enfant ne devrait craindre de raconter sa journée en rentrant de l'école. Pour elle, c'était son quotidien, depuis toujours. Elle s'était habituée à la violence et à l'instabilité. Ça avait empiré quand William était parti de la maison pour ses études... Ça faisait 3 ans maintenant, mais pour elle cela semblait être une éternité.

Mais ce soir, personne. Elle ne savait pas si elle devait être soulagée ou attristée. A la place elle choisit l'indifférence. Secouant la tête pour chasser ces idées de son esprit elle jeta son trognon de pomme dans la poubelle puis passa un long moment à jouer avec les chiens dehors, riant aux éclats. Une bouffée d'air frais. Voilà ce qu'ils étaient pour elle. Les animaux avaient toujours eu une place importante dans sa vie. Elle n'avait pas à faire semblant avec eux, elle n'avait pas à faire attention à comment elle se tenait, comment elle parlait, ce qu'elle disait. Elle pouvait être elle-même. Et pour la petite fille c'était chose rare...
Quand une dispute éclatait à la maison, son père s'assurait toujours que les fenêtres étaient fermées... "Qu'allaient penser les voisins ?" C'est la seule chose qui l'importait. Et si quelqu'un sonnait à la porte en plein drame familial, tout le monde composait son plus beau sourire et jouait à la famille parfaite. Ça provoquait chez elle un profond malaise et une colère sourde qu'elle n'arrivait pas à réprimer. Si seulement les gens savaient...

Laissant les chiens jouer encore un peu, elle rentra, les joues roses et les cheveux ébouriffés par le vent, le sourire aux lèvres. Elle se dirigea sans réfléchir vers la salle à manger et ouvrit son piano avant de s'installer sur le petit tabouret recouvert de velours. Posant son pied sur la pédale elle caressa doucement l'ivoire des touches, le regard empreint de tendresse puis s'échauffa un instant pour dégeler ses doigts engourdis. Puis elle ferma les yeux, prit une grande inspiration et commença à jouer à l'aveugle le dernier morceau qu'elle avait appris.

Musique:

Elle n'avait pas besoin de partition. Chaque morceau qu'elle apprenait finissait par se graver dans son esprit, comme s'inscrivant dans sa chair, et au bout d'un moment elle n'avait même plus besoin de regarder les touches pour savoir où poser ses doigts. Elle ne saurait dire si elle aimait vraiment ça, car jusqu'à présent elle avait été obligée d'en jouer. "Tradition familiale" paraît-il... Ses parents l'avait mise chez un professeur particulier dès ses 7 ans, et lui avaient dit qu'elle continuerait pour les 10 prochaines années. Aime-t-on vraiment quelque chose lorsqu'on vous force à le faire ? Eve était bien trop jeune pour répondre à cette question, mais quelque chose au fond d'elle même vibrait chaque fois qu'elle appuyait sur une touche. La musique avait ce côté sempiternel qui la rassurait, comme si jouait des morceaux écrits il y a des centaines d'années lui permettait de croire qu'elle même ne disparaîtrait pas des mémoires un jour.

La poésie, la musique, la philosophie... Elle avait beau être jeune, Eve se retrouvait dans les arts. Peu de gens comprenaient autour d'elle, et à vrai dire elle n'avait personne à qui en parler. Son frère peut être, mais il était si loin... Déconcentrée, elle fit une fausse note et ouvrit les yeux pour se rattraper et continuer à jouer.
William... Il lui manquait tellement. Il était son rempart, son seul repère affectif dans cette maison. 10 ans les séparait, et le voir partir à la fin du lycée avait été un profond déchirement. Elle s'était sentie tellement seule... Elle ne comprenait pourquoi il ne revenait que si rarement... L'ambiance à la maison était pesante c'est vrai, et ses relations avec son père étaient loin d'être au beau fixe, mais tout de même...

Avant le dernier accord, Eve s'arrêta une boule au ventre. Elle s'inquiétait pour lui. Elle ignorait pourquoi, mais elle avait une furieuse envie de l'appeler, de lui parler, ne serait-ce que d'entendre sa voix...
Se levant brusquement, elle laissa le piano en plan et se dirigea vers le téléphone de la maison. Le prenant en main elle composait ce numéro qu'elle connaissait par cœur et écouta les sonneries retentir dans le creux de son oreille.
Un clic.
La messagerie.
Soupirant, elle raccrocha et reposa le téléphone sur son socle. Elle ne pouvait pas dire qu'elle ne s'y attendait pas non plus... Il était très occupé après tout. Mais elle n'arrivait pas à se débarrasser de l'impression que quelque chose n'allait pas. Tournant en rond, la jeune fille finit par se mettre devant la télé, attendant que ses parents rentrent. Elle avait déjà fini tous ses devoirs et n'était clairement pas assez concentrée pour continuer à jouer.


Les heures passèrent, et elle entendit enfin des voix. Les clés dans la serrure répondirent à son interrogation et elle quitta le canapé pour leur ouvrir la porte, suivie comme de son ombre par ses chiens. Le sourire aux lèvres elle laissa rentrer ses parents, pâles et nerveux.

- Bon-...
- On doit y aller maintenant.
- Tu crois que je ne suis pas au courant peut être ?
- Ne prends pas ce ton avec moi, pas maintenant Charles !
- Dépose les dossiers et on y va.
- soir...

Eve les suivit du regard, le sourire crispé, un amer goût de déjà-vu en bouche. Pourtant quelque chose était différent cette fois. Ils étaient inquiets tous les deux, pas fâchés l'un envers l'autre, un exploit.

- Maman.. ?

Prenant enfin conscience de la présence de la fillette, sa mère se tourna vers elle et lui offrit un sourire se voulant rassurant. Raté.

- Bonsoir ma chérie, je suis désolée mais on doit partir... Ça ira pour rester seule ? Il y a de quoi manger au frigo et si il y a un problème, tu peux aller voir les voisins d'accord ?
- Elle n'a pas besoin d'aller voir les voisins Catherine. Elle peut se débrouiller toute seule, n'est ce pas Eve ?
- Je... euh, oui ? Mais... qu'est ce qu'il se passe ?

Quelque chose n'allait pas et l'angoisse sur le visage d'Eve ne passa pas inaperçu. Sa mère vient lui prendre le visage entre ses mains et déposa un baiser sur son front, un baiser presque fiévreux.

- Ne panique pas d'accord ? Tout se passera bien.
- Maman qu'est ce qu'il se passe ? Vous me faites peur...
- On doit aller à Canterbury. Ton frère... a fait une bêtise. On va le voir, ne t'inquiètes pas, il va bien.

Eve se figea. Sa mère n'avait pas besoin de développer, elle savait pertinemment ce que ça signifiait. Son cœur s'arrêta un instant, glacé par la nouvelle. Ne pas paniquer ? Ne pas s'inquiéter ? IL VA BIEN ? Eve avait envie de hurler. La gorge nouée elle ne fit acquiescer en silence et regarda ses parents sortir rapidement de la maison pour s'engouffrer dans la voiture. Retenant au maximum ses larmes, elle regarda la voiture partir en trombe dans la nuit noire incapable de dire un mot.


Pourquoi... ? Pourquoi tu as fait ça William ? Qu'est ce qu'il se passe ? Qu'est ce que tu ne me dis pas ? Pourquoi veux-tu partir... ? Pourquoi... ? Je ne veux pas que tu m'abandonnes... Reste avec moi, s'il te plaît. J'ai tellement besoin de toi.

Trop de questions se bousculaient dans sa tête, mais aucune réponse ne lui parviendrait ce soir. Fermant doucement la porte, elle resta un instant dans le hall, le cœur en lambeaux. Elle savait qu'ils ne l'auraient jamais laissée venir avec eux. Elle savait que William n'aurait pas voulu qu'elle le voit comme ça.
Une truffe froide vint se poser dans le creux de sa main et elle vit les deux chiens assis près d'elle, ne remuant plus la queue, comme si ils savaient. Plongeant ses yeux dans l'innocence des leurs elle fondit en sanglots et tomba à genoux, venant enfouir son visage dans la fourrure du plus proche, inconsolable.

Elle savait, elle avait senti que quelque chose n'allait pas, et pourtant elle n'avait rien pu faire pour l'en empêcher. Elle était impuissante. Impuissante.

Et ça la tuait.
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