Would you put day drinking under experience or special abilities ? • jessica jones

L’évacuation a été un traumatisme pour tous les New-Yorkais. Le SHIELD peut se vanter d’avoir sauvé beaucoup de vies, mais les décideurs ne sont pas les payeurs et rien ne pourra remplacer la Grosse Pomme d’origine dans le cœur des réfugiés new-yorkais. J’ai regardé l’évacuation et la destruction de New York depuis une chambre de motel crasseuse au Canada. Sur l’écran plat parsemé de pixels morts, je voyais les rues dans lesquelles j’avais usé mes boots être balayées par les flammes, tout en avalant un whiskey hors de prix attrapé dans le minibar de la chambre.
J’avais fui mon pays et ma ville par peur de la Purge, par dégoût de la politique, en me jurant que rien ne me manquerait et que les Etats-Unis pouvaient bien mariner dans leur jus de chaussettes néofasciste à la con… Et plus les images défilaient sur l’écran, plus les réfugiés témoignaient face à des journalistes aux questions idiotes, plus je me sentais la conne de cette histoire.
Alors je suis rentrée au pays, mais l’anonymat, c’était fini… Fichage et compagnie, je suis donc à la merci du SHIELD : ils m’appellent, je dois répondre présente.

J’ai de meilleures relations, plus fréquentes et plus sympathiques, avec mon centre des impôts qu’avec le SHIELD : les deux savent que j’existe et me demandent des trucs, mais il n’y a que le premier qui y met les formes et m’envoie des courriers régulièrement - calmez-vous, je n'ai pas dit que j'y répondais…
Quand j'avais encore le cabinet "Alias Investigations", la grande spécialité du SHIELD c'était de me refiler des cas qui me sortaient de mon ordinaire, à savoir les maris qui trompaient leurs femmes avec leur secrétaire bipolaire en les emmenant faire un tour à Atlantic City, donc je ne me plaignais pas. Je filais un super-héros pendant une journée ou deux, je faisais quelques enquêtes de fond sur l'historique de telle ou telle nouvelle recrue... Et occasionnellement, je cassais la gueule d'un antagoniste imprudent.

Depuis que je suis revenue à New York, j'ai droit au silence radio. Pas que ça me déçoive : je dirais que c'est comme les plans culs foireux... le premier qui rappelle, c'est le premier qui a perdu.

• Je n'ai ai aucun problème avec les Asgardiens dans la majorité : dans 80% des cas, j'ai le sentiment que ce sont des mecs un peu paumés qui ont abusé des champignons dans une reconstitution viking grandeur nature - sauf que leurs pouvoirs ne sont pas que dans leur tête. Mais comme leur délire s'accompagne de tout le tremblement de valeurs du type "force et honneur", ils restent fréquentables. Le problème vient des 20% d'emmerdeurs qui étaient probablement déjà des emmerdeurs sur Asgard : résultat des courses, non, je n'ai pas participé à la reconquête. Soyons lucides : les 80% de nounours en cottes de mailles allaient se barrer en nous laissant les 20% de vilains petits canards fouteurs de merde, trop heureux d'avoir un terrain de jeu pour eux tous seuls, donc j'avais plus urgent sur ma to do-list.

  « Quand les gens me rencontrent, ils posent souvent trois questions : qui es-tu ? Pourquoi fais-tu cela ? Qui t’a rendue comme ça ? »

Pain is always a surprise. I try to avoid landmines. Avoid caring. I can even see it coming. But until it hits, you have no idea what pain is.

« Je m’appelle Jessica Jones. Mais ça n’a pas toujours été mon nom. Jessica, si, bien sûr, mais Jones n’est venu qu’après l’accident qui a coûté la vie à mes parents et mon petit frère. On allait à Disney World, putain de famille américaine classique dans un vieux break qui sentait la poussière et les biscuits oubliés sous les sièges. Mon frère m’avait pris mon lecteur MP3 et ne voulait pas me le rendre, avec mon sale caractère, je lui suis tombée dessus, mon père a quitté la route des yeux… Quoi, dix secondes ? Dix secondes, c’était tout ce qu’il fallait pour que le vieux break dévie de sa trajectoire et rentre dans un camion. Toute la bonne vieille ingénierie automobile américaine ne pouvait rien faire contre un choc frontal à pleine vitesse face à un 36 tonnes charriant des déchets radioactifs. Toute la médecine moderne ne pouvait rien faire non plus : les journaux parleraient longuement des équipes médicales dévouées n’ayant pu sauver que la fille. Et souvent, les journaux s’arrêteraient là. Le problème, c’est que les journaux seraient ma seule source d’informations sur l’accident, le coma ayant dévoré tous les souvenirs ayant suivi l’accident. »

In my line of work, you gotta know when to walk away. But some cases just won't let you go.

« On flash-forward. Je m’appelle vraiment Jessica Jones pour le coup, après avoir été placée en famille d’accueil chez Alisa et David Jones. Les pauvres ont pensé que ce serait une bonne idée de m’adopter, en plus, parce que jouer à la SPA ne suffisait pas. L’assistante sociale qui s’occupe de moi m’a dit que c’était une gentille famille, et puis qu’au fond, c’était mieux que pas de famille du tout. Et porter un nom de famille qui ne correspond plus à aucune famille, ça me semblait irrationnel. Je n’ai donc pas trop sourcillé quand on m’a tendu le formulaire de changement de nom.

On aimerait penser qu’après un tel départ dans la vie, les conditions de vie ne pouvaient que s’améliorer, sauf que la vie est une emmerdeuse pugnace. Au lycée de Midtown High, tout le monde me regarde comme une bête de foire, enfin, passées les premières semaines de sympathie générale, d’embrassades parfumées au shampooing à la fraise, aux lettres glissées dans mon casier… « Mon cœur t’accompagne dans ces moments de grande souffrance »… « Ton petit frère a rejoint les anges »… « Tes parents seront toujours avec toi, là-haut »… Putain, si j’avais osé – à l’époque, j’osais moins, j’aurais foutu le feu à ce tas de conneries. Ça devait se voir, remarquez, parce qu’après les lettres de sympathie, j’ai commencé à recevoir des courriers autrement plus dark. « Sorcière, retourne en enfer avec ta famille », « Dieu a supprimé ta famille de démons »… Je n’irais pas plus loin, je pourrais pourtant.

Un jour, alors que toutes les filles du cours de sport s’étaient liguées pour me viser en permanence au dodgeball, je me suis tirée du gymnase en courant. Les garçons qui jouaient au football américain dehors me sifflaient au passage, ne me donnant qu’encore plus envie de me barrer, loin d’ici. Arrivée au bout du terrain du lycée, il y avait une grande barrière grillagée donnant sur la forêt clairsemée, et alors que je sautais pour attraper le haut de la clôture, je me retrouvai soudain au niveau de la frondaison des arbres, les yeux ébahis fixés sur la ligne d’horizon…

Je vous fais grâce des moments plus ou moins glorieux à la recherche de mes limites qui ont suivi. Tête brûlée comme je l’étais, j’ai eu de la chance d’avoir ma super-résistance, ou j’aurais pu mourir quelques fois avec mes conneries. Au fur et à mesure que je les découvrai, je les mettais en application… Jewel était née. Jewel, avec ses cheveux roses bonbon, son costume blanc et bleu ne laissant que peu de place à l’imagination : bref, j’avais trouvé un déguisement parfait, pour moi, ma colère, ma haine. Je pouvais les cacher sous un joli vernis pailleté, aller sauver des gens, et prétendre que tout irait bien. »

They say everyone's born a hero. But if you let it, life will push you over the line until you're the villain. Problem is, you don't always know that you've crossed that line.

« Tout n’irait pas bien. À peine quelque mois après avoir commencé en tant que super-héroïne, je rencontrai celui qui allait détruire complètement ma vie. Dans un restaurant, après avoir entendu la police parler d’une bagarre. C’était le restaurant près du travail de David, j’allais régulièrement manger avec lui à la pause déjeuner, je ne sais pas pourquoi, mais je refusai de laisser un endroit auquel je tenais être « profané »… J’aurais dû laisser la police y aller. Ce n’était qu’une bagarre dans un restaurant, pas de quoi fouetter un chat. Mais à l’époque, je courrais après la reconnaissance et l’émerveillement dans les yeux des gens comme d’autres courent après un shoot d’héroïne.
En arrivant dans le restaurant, je sus que quelque chose ne tournait pas rond. Deux hommes se battaient bien, mais tous les autres clients continuaient de manger, fixant la scène avec des yeux emplis de larmes. Seul, un homme souriait. Alors que je m’approchai pour séparer les combattants, sa voix retentit.

« Viens voir, petite… Viens voir Zebediah… »

Et, sans que je ne pus m’en empêcher, mes pieds me conduisirent jusque devant lui.

« Quel est ton nom… Ton vrai nom, pas cette connerie que tu t’es inventée pour courir les rues avec ta tenue de pouffiasse. »

Il piqua sur le bout de sa fourchette un morceau de steak bien saignant, dont la chair rosée relâchait des sillons de jus sur le fond de l’assiette, puis le porta à sa bouche. Il fit crisser la fourchette sur ses dents alors qu’il la ressortait de sa bouche, qui mastiquait avec acharnement.

“Jessica Jones”

Il déglutit son morceau de steak.

“Et bien, Jesssssssssica Jonessssssss, dit-il, en faisant traîner les « s », tu es si jolie… Enlève donc tes vêtements… Et une fois que ce sera fait, tu iras accueillir les policiers qui sont juste sur le point d’entrer. Et par accueillir, je veux dire tuer, bien sûr. »

C’est ainsi que, nue comme au jour de ma naissance, je commençai ma longue descente aux enfers. »

Maybe it's enough that the world thinks I'm a hero. Maybe if I try long and hard, maybe I can fool myself.

« Je ne veux plus parler de Kilgrave. Je ne veux pas parler de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai fait. Ma mémoire, ma honte, ma culpabilité, n’appartiennent qu’à moi. Pendant huit mois, j’ai appartenu à quelqu’un d’autre. J’ai fait ses sales besognes, j’ai blessé des gens, j’ai volé, j’ai tué. Mais je suis partie, à grands coups de whiskey et de bière à 20°. Et j’estime que j’ai gagné mon droit au silence.

Mais ça, je ne le sais qu’aujourd’hui. À l’époque, je vivais avec deux peurs logées en permanence au creux de mon ventre : être retrouvée par Kilgrave, ou par la justice. J’ai vécu plusieurs mois en me planquant et en dépensant l’argent que j’arrivais à trouver en travaillant au noir dans la gnôle la moins chère du marché. C’est donc tout naturellement qu’alors que je soulevais des sacs de ciment sur un chantier d’Hells Kitchen, j’ai enfin réussi à faire mon premier coma éthylique. »

The big part of the job is looking for the worst in people. Turns out I excel at that. Clients hire me to find dirt. And I find it, which shouldn't surprise them, but it does.

« En sortant de l’hôpital, j’étais libre. Libre de commencer une nouvelle vie, qu’on m’a dit. Je vous laisse deviner la vie qu’on vous destine, quand vous n’avez jamais fini le lycée et que vous avez un dossier long comme le bras, aussi bien chez les flics que chez les principales agences gouvernementales du pays. Pourtant, il n’y avait plus chez moi de quoi faire peur, mais je crois que j’étais la seule à le savoir. Peut-être qu’il fallait être moi pour savoir que mes coups ne faisaient plus aussi mal, que je me remettais de plus en plus mal d’interactions musclées, et que parfois, mes gueules de bois me faisaient si mal que j’aurais pu tout aussi bien être simplement humaine.

Mais j’ai néanmoins trouvé un métier dans lequel ma haine des autres, mon dégoût absolu de l’être humain et de ses saloperies, était un avantage : détective privée. Aucune banque ne vous refusera jamais un prêt pour ouvrir une agence, il y aura toujours des jeunes junkies à retrouver, des pères de familles aux nombreuses vies à qui faire cracher une pension alimentaire, des filatures de femmes infidèles à faire. Avec « Alias Private Investigation », je me retapais financièrement et m’enfonçai de plus en plus dans ma misanthropie.
Régulièrement, le SHIELD me confiait quelques cas de « supers », rien de bien méchant, rien de bien gentil non plus. Je ne fréquente pas tant d’individus exceptionnels que ça, parce que je suis convaincue que l’aspect super de leur vie ne concerne pas que leurs pouvoirs. Un super-connard reste un connard, il est juste plus difficile à arrêter. J’eus l’occasion de leur prouver avec l’évasion, la poursuite et la capture de Kilgrave. »

Knowing it's real means you gotta make a decision. One, keep denying it. Or two... do something about it.

« Seulement, les super-connards allaient entraîner la chute des autres supers : en 2013, j’ai vu la première Sentinelle circuler dans les rues de New-York et éliminer quelqu’un. Quelqu’un dont la seule faute était d’être né du mauvais côté de la barrière génétique, d’avoir un « petit quelque chose » en plus, par rapport aux autres, par rapport aux normaux, aux gens dits « bien ».

Sauf que j’avais retenu la leçon. Tous les combats n’étaient pas « mon combat ». Toutes les injustices n’étaient pas de mon ressort. Alors, comme tant d’autres, j’ai passé la frontière. Il ne faisait pas plus froid à Ottawa qu’à New York de toute façon et là-bas, je pouvais faire des boulots sans qu’on me regarde de travers. J’ai tout fait, de garde du corps jusqu’à transporteuse de fonds. Là-bas, ma force n’était pas fondamentalement suspecte, inquiétante, malsaine. J’aurais pu y faire ma vie. Recommencer à zéro.

C’est en regardant New York disparaître dans un torrent de flammes et les explosions des immeubles que j’ai compris. Plus exactement, j’ai compris quand j’ai éteint le poste de télévision, dans un état semi-comateux, que l’alcool n’aidait pas. J’avais passé 3 heures, scotchée devant les programmes d’informations continues, à biberonner des miniatures de Jack Daniels. En me relevant - de manière plus ou moins droite, du canapé au velours râpé où mes fesses avaient imprimé une marque plus importante que je n’étais prête à l’accepter, je jetais alors un regard honnête sur mon environnement. Je payais depuis 3 ans une chambre de motel pourrie, où la moquette avait imbibé autant d’alcool que moi, sans pour autant s’être débarrassée de son odeur tenace de cigarettes et de rapports sexuels hâtifs. Je ne faisais même pas semblant de m’installer : ma valise toujours ouverte sur la commode me servait toujours à ranger mes deux jeans et mes pulls troués, et ma veste en cuir trônait fièrement sur la tête de lit, parce que les portemanteaux, c’est pour les gens névrosés et qui changent vraiment de brosse à dents tous les 3 mois. Le Canada ne serait jamais chez moi. »

"I don't get asked on a lot of second dates."

Voilà ce qu’elle venait de dire, les yeux dans les yeux, à l’agent du SHIELD auprès de qui elle venait de faire son dépôt de demande officielle de retour au pays. Le mec était blond avec des yeux noisettes, rasé de près, bref, il aurait pu être une imitation de Captain America, mais il n’en n’avait certainement pas la carrure.

« Non, parce que je veux dire, le SHIELD qui m’écrit pour me dire que je peux revenir, c’est un peu comme un mec avec qui j’aurais eu un rendez-vous hyyyyyyper chiant, du genre à parler de recyclage et d’impact carbone, qui m’écrirait pour me dire « hey girl, tu fais quoi ce soir ? », non ? Je suis sûre que vous voyez exactement ce que je veux dire. »

Il haussa à peine un sourcil. Ce mec avait moins de consistance qu’un édulcorant dans un café acheté à la station-service du coin. D’un geste sec, il tamponna les formulaires et les lui tendit du bout des doigts.

« Vous pourrez récupérer vos nouveaux papiers à la sortie, miss Jones. Ne quittez pas New York, et essayez, la prochaine fois, de bien vouloir défendre votre pays puisqu’il semble que vous en soyez capable. »

Elle voyait défiler sur son visage à la dignité offensée, tout ce qu’il aurait volontiers infligé aux déserteurs dans son genre, si on lui en avait donné la possibilité. Elle soupira. America the beautiful : patriotisme à vingt cents, jeunes mecs Blancs tout juste sortis de la fac et pensant mériter le monde sur un plateau, administration nébuleuse et tentaculaire.

Home sweet home.

 

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