Jack descendit de l’avion avec précipitation et nervosité. Il avait horreur de prendre l’avion, il imaginait toujours mille catastrophe : puis l’Homme n’avait rien à faire dans les airs ! Il n’était réellement soulagé que lorsque le train d’atterrissage heurtait plus ou moins rudement la piste bétonnée. Son œil – il n’en avait plus qu’un – cherchait June au milieu de la foule. Déjà perturbé par l’utilisation de son œil gauche seul, le monde et le brouhaha ambiant ne le mettait pas plus à l’aise que ça, pas quand on revenait du front. Un sourire se dessina sur ses lèvres : elle était là, belle comme le jour et rayonnante, sa chère jumelle. Quand elle le vit à son tour, elle lui sauta au cou avant de poser une main sur sa joue avec un sourire :
« Mon pauvre Jack, ils t’ont pas loupé… Lily et Hailey ont hâte de revoir leur oncle ! - Ah, longue histoire… Oh mais j’espère bien ! Elles m’ont manqué. Et toi aussi. »
Il lui rendit son sourire, mais son anxiété n’avait pas tout à fait disparue. L’avion n’y avait plus aucune part, cependant ; cela faisait un moment qu’il n’avait pas vu les petites. Lily avait quatre ans, et la petite Hailey venait de souffler ses deux bougies… Et il avait un cache-œil, et cette sale blessure qui cicatrisait, laissant imaginer ce qui se cachait là-dessous – et ce n’était pas beau.
« J’espère juste ne pas faire peur aux princesses. », souffla-t-il en reprenant son sac pour suivre sa sœur jusqu’à la voiture.
Pour toute réponse, June lui envoya un regard désabusé en arquant un sourcil auquel il répondit par un sourire un brin gêné. D’accord, oui, elles n’auraient pas peur. Enfin, on verrait bien… Le trajet jusqu’à la maison de la jeune femme fut calme. Jack l’écoutait parler de ses filles, lui déballer sa vie, soupirer l’absence de Mike (son mari), esquissant parfois quelques sourires amusés, hochant souvent la tête. S’il ne parlait pas, c’est qu’à part les horreurs de la guerre qui l’avaient marqué plus qu’il ne le pensait alors, il n’avait rien à dire. Un soir, peut-être, quand les petites seraient au lit, autour d’un café, il lui parlerait de ses étranges fiançailles avec une prisonnière de guerre qui lui avait valu cette cicatrice au visage. Eh oui, la perte de son œil droit avait une cause beaucoup moins virile et impressionnante que la guerre. Sans doute rirait-elle un peu. C’est ce à quoi il pensait lorsqu’elle s’engagea dans l’allée de sa jolie petite maison sur Staten Island, et coupa le moteur.
Un léger stresse enserrait sa gorge et, lui semblait-il, agaçait sa respiration. Il alla chercher son paquetage dans le coffre, avant de monter les trois marche qui menait à la petite terrasse, puis à la porte d’entrée qu’avait déjà franchie June.
« On est rentré ! »
Il n’en fallu pas plus pour que la maison calme, comme aux aguets, résonne soudainement des pas précipités et des cris des deux fillettes, l’une avançant avec un équilibre plus précaire que l’autre.
« Tonton Jack ! Tonton Jack ! »
Jack lâcha ce qu’il tenait pour s’accroupir en ouvrant ses bras, tandis que Lily se jetait dedans sans l’ombre d’une hésitation. La petite xxx arriva au petit, et il l’attrapa avec son deuxième bras. Elle leva les yeux vers lui et, posant l’une de ses petites mains sur la joue de son oncle, elle demanda :
« T’es un pirate, Tonton ? »
Lily lâcha un soupire hautain que lui permettait sa condition d’aînée (c’est du moins ce qu’elle pensait), avant de déclarer que « son Tonton Jack était évidemment le meilleur pirate du monde, pas comme le capitaine Crochet ». Un large sourire s’étira sur les lèvres de l’homme, qui tourna un visage ravi vers sa sœur. June posa sur lui un regard qui signifiait : « Tu vois, je te l’avais dit », avant de les abandonner pour congédier la jeune Mary qui avait gardé les fillettes. Jack se releva en gardant ses nièces dans les bras et rejoignit sa sœur dans le salon, qui s’approcha pour récupérer la plus petite.
« Je suis contente que tu restes un peu avec nous. - Moi aussi, soeurette ».
Le soir, Jack alla coucher les petites avec June, attendrit par le calme et la paix de la scène. Cela contrastait tellement avec ce qu’il avait vécu ces derniers mois. Ils retournèrent ensuite dans la salle à manger où les attendait leur café : c’est là que, finalement, après quelques hésitations, June demanda à son frère si elle pouvait voir son œil. Jack grimaça légèrement avant d’enlever son cache-œil :
« Tu sais, être borgne n’a jamais été beau… »
June fronça légèrement les sourcils.
« J’aurais cru qu’il serait blanc. - Il ne l’est pas ? - Non. Il parait normal. Même : il serait normal sans la cicatrice autour. »
Jack se leva brusquement en chancelant, la vue soudainement floue sur sa droite, et se précipita sur un miroir, plus qu’étonné. June avait pourtant raison… Mais il n’eut pas le temps de le lui dire, qu’à peine tourné vers elle il perdit la vue et une migraine affreuse semblait déchirer son esprit.
Il ouvrit les yeux sur un plafond de bois clair, et grogna légèrement. Que c’était-il passé, là, exactement ? Il se souvenait avoir enlevé son cache-œil pour montrer les dégâts à June, et… Son œil était là, intact. Ou presque. Cela expliquerait sa vision anarchique, floue sur le côté droit et… Bordel. Il ferma les yeux avec un nouveau grognement, avant de sentir une main se poser sur son bras. Il se redressa dans un réflexe adopté par ses longs mois de guerre, mais la voix de sa sœur le calma immédiatement. Elle le rallongea doucement, avant de lui donner son cache-œil et un verre d’eau. Jack ne se risqua à rouvrir l’œil gauche qu’une fois le droit caché, et remercia doucement la jeune femme en prenant le verre tendue, ainsi que l’une des aspirines qu’elle avait laissé sur la table de chevet, dans le cas où il se réveillerait avec la migraine. « Ça va mieux ? » demanda-t-elle doucement, tandis qu’il avalait le contenu du verre. « J’ai… Mal à la tête. Qu’est-ce qui s’est passé ?... - Tu es allé au miroir, je crois que tu ne m’as pas cru quand je t’ai dit que ton œil semblait… Normal. Puis tu as fait un malaise. »
La jeune femme passait sa main dans les cheveux de son frère, caressant doucement son front, la mine grave et inquiète. Il ne se souvenait pas avoir vu un jour June dans un tel était d’inquiétude et, maintenant qu’il y faisait attention, elle semblait fatiguée, les traits tirés. Presque triste. Il attrapa sa main et la serra doucement entre ses doigts. Elle posa sur lui un regard maternel avant de déposer un baiser sur son front, prenant soudainement son rôle d’aînée à cœur. Aînée d’à peine huit minutes, toutefois.
« Repose-toi, frérot. »
Il esquissa un léger sourire et hocha la tête, déposant un baiser sur la main de sa jumelle avant de se tourner vers le mur. Il laissa à June le soin de le border comme il lui plaisait, se sentant déjà replonger doucement dans les bras de Morphée. Contrairement à son coucher, ses rêves ne furent pas plein de douceur et d’amour, mais d’explosions, de cris et de sang. Cauchemars qui se répèteraient trop souvent à son goût, le réveillant beaucoup trop souvent aux aurores. Il put rapidement voir un ophtalmologiste qui lui apprit qu’il n’avait pas totalement perdu son œil droit, mais que sa vue était presque nulle. Pour éviter les migraines comme celle qui l’avait terrassé sa première nuit chez sa sœur, il lui faudrait porter son cache-œil et éviter d’utiliser cet œil, puisqu’il ne voulait porter ni lunettes, ni lentilles… Solution qui lui convenait totalement malgré ce petit miracle qu’il ne parvenait pas à expliquer.
oOoOo
« Jack… Il faut que je te dise quelque chose… - Hm ? »
Une douce brise portait dans l’air le parfum des fleurs du jardin, et les doux chants des oiseaux au petit matin émerveillaient leur ouïe. Assis à la table, sur la terrasse, Jack buvait tranquillement son second café. Les petits dormaient encore, mais June avait à nouveau cet air triste et fatigué qu’il lui avait remarqué la veille.
« J’aurai dû te le dire avant, mais… Je ne voulais pas t’embêter, et avec ce malaise que tu as fait hier… - Qu’est-ce qu’il y a, June ? » demanda-t-il en attrapant sa main entre ses doigts. « C’est maman, Jack. Elle est malade, elle… Elle a un cancer. Ils ont dit qu’elle ne… Qu’elle ne passerait pas l’année. »
Jack écarquilla légèrement son œil valide, avant qu’il ne s’emplisse soudainement de larmes. June alla se réfugier dans les bras de son frère, tant pour le réconforter lui que pour se réconforter elle. Leur mère ne méritait-elle pas le bonheur et la félicité ? N’avait-elle pas assez souffert dans sa vie, ayant sacrifié toute forme de vie sentimentale pour s’occuper au mieux de ses deux enfants chéris ? Si sa fille était mariée et était mère, son fils cherchait encore son chemin. Il n’aurait pas la vie heureuse qu’elle escomptait pour lui, mais elle ne le saurait jamais. Jack serra un instant sa sœur contre lui avant de se calmer lentement. Pas question que ses petites princesses le voient comme ça.
« Elle est à l’hôpital, on ira la voir, ça… Ça lui fera plaisir. »
Jack hocha doucement la tête. Bien sûr qu’ils iraient la voir, hors de question de patienter plus longtemps encore.