Pour finir à la porte
Elle a posé sa veste sur le dossier de sa chaise, observe les élèves avec attention et soupire. Ils ont l’air ultra-motivés encore une fois. Parfois elle se demande vraiment pourquoi elle a choisi d’être professeur vu qu’apparemment on a beau faire tous les efforts du monde, s’ils ont décidés de dormir pendant votre cours, il ne faudra pas trop leur en demander. Pourquoi ont-ils pris cette option s’ils ne comptent pas se pencher un peu plus sur la matière ? Elle leur a donné une liste de livres à essayer de lire dans l’année s’ils le souhaitent. Des livres courts, relativement simple, sans leur imposer. Juste au cas où ils souhaiteraient s’améliorer et en leur assurant qu’ils peuvent venir lui en parler. Sauf que niveau communication, beaucoup de ces élèves ne devaient pas considérer qu’elle soit très ouverte d’esprit. Elle prend sa craie et commence à noter le sujet du cours. D’habitude, ils profitent de ce moment pour prendre le temps de bavarder avec leurs voisins, voisines mais là, rien. Elle n’a même pas l’occasion de leur balancer une craie à la tête.
« Boooon… Leçon du jour, les expressions françaises. Je suis sûre que vous en connaissez au moins une ou deux. Qui veut se lancer ? » Aucune réponse. Elle tente d’interroger une élève qui hausse négligemment les épaules et se replonge sur sa feuille sans rien ajouter.
« Ok… » Elle tente une seconde fois avec un autre mais rien n’y fait. Elle ne va pas faire cours toute seule hors de question.
« Dans ce cas, … vous allez tous m’écrire des jolis phrases sur vos feuilles parce que celui qui ne m’aura rien écrit dans 5 minutes aura un exposé à me faire sur les différences entre expressions en anglais et expressions en français, ok ? Allez c’est parti les djeun’s ». Elle a l’impression de devoir faire animatrice de colonie alors que ça ne fait certainement pas partie de son boulot. Elle passe dans les rangs lentement comme un sentinelle sachant pertinemment que les élèves adorent se sentir épié. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur une feuille qui dépasse du carnet d’un de ces élèves et entrevoit un dessin. Elle attrape la feuille.
« Ce cours de français t’inspire profondément… C’est vrai que ça manque un peu de déco cette université. On devrait peut-être affiché tes œuvres … ? Puisque tu as l’imagination fertile, tu te pencheras sur une interprétation graphique de ce que tu veux ayant un rapport avec la France ou le français en m’expliquant ton travail, ok ? Bon les autres, on en est où ? Sonja ramasse les feuilles, s’il te plaît. » Eliane retourne près de son bureau en ne s’attendant pas tellement à un exploit dans les copies. Elle commence à lire, les élèves ont l’air un peu stressé. Elle lève un instant la tête au dessus d’elle, en jurant avoir entendu un bruit mais reprend sa lecture et s’apprête à faire part d’une copie plutôt bien remplie pour une fois. De véritables expressions françaises ! Un miracle…
« Joli travail Lena. Je… » Un bruit d’éternement un peu trop bruyant pour être crédible et naturel la fait sursauter tandis qu’une grille vient de céder, suivi de près par… un guignol. Eliane ne peut se retenir de jurer devant l’apparence de l’olibrius. La violence de la chute la fait grimacer. Que faisait ce type dans les conduits d’aérations de l’université ? Elle ne sait pas encore à quoi elle doit s’attendre avec ce type mais les plus paniqués, ce sont ses élèves. Certains se sont même réveillés et sont debout derrière leur chaise comme s’il s’agissait d’un bouclier.
S’ils ont tous reculé d’un pas, Eliane est restée à sa place, les bras croisés tandis que l’individu se relève. Il bloque un peu la sortie et comme elle ne sait pas trop quoi penser de lui… pour l’instant, elle ne fait rien. Elle est juste agacée qu’on vienne pourrir un cours déjà délicat à mener à bien.
« Sorpresa » Ah oui, pour une surprise c’en est une. It’s raining men ! Italien, Espagnol ? Elle hésite entre les deux mais l’important n’est pas là pour le moment. L’écossaise garde son calme et répond simplement
« c’est le cours de français ici ! » Ses élèves n’ont pas bougés. C’est vrai que ce n’est pas rassurant un homme en costume couleur coccinelle. Ils le suivent du regard comme s’il s’agit d’une bombe risquant d’exploser. L’autre taré tente de rassurer, enfin sans doute parce qu’il est difficile de juger un mec dont on voit pas le visage et qui entre par effraction. Un collègue … Pas de travail, on a pas de prof avec des tenues maso, ni parmi les confréristes, certes fous pour quelques uns mais pas au point qu’elle ne les reconnaît pas. La remarque l’a fait donc rigoler et non pas donner son nom. Sans déc’, c’est tout ce qu’il a trouvé à dire ? Et il croit vraiment que ça va marcher ? Ses élèves avaient déjà de large doute sur sa capacité à être dans l’enseignement mais là, si elle prétend être collègue avec … un clown ? Non sans façon ! Les étudiants ne sont pas tous des flèches mais bon ils vont faire des rapprochements après. S’il fait partie de ceux qui ont été nommés « anormaux » durant la Purge, il n’a rien à faire ici. Elle affiche un fin sourire
« Oublieriez-vous les noms de vos collègues … ? Mon nom de famille commence par un R… à vous de jouer !» Elle arque un sourcil comme si elle attend soudainement qu’il joue au devinette. Bonne chance pour trouver le bon nom mais intérieurement, Eliane est soucieuse. Le cours n’est pas terminé, les élèves ne doivent pas sortir tout de suite alors si jamais ça tourne mal ? Elle ne peut pas user de ses dons de mutantes ici… Elle espère que ce type est qu’un simple rigolo donc…
« Et si vous vous présentiez… en français ? Pour faire bon exemple. »