[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]ça c'était avant...presque mère, déjà criminelleUn verre qui se casse. Une porte qui claque. Le silence qui soupire et s’affaisse lentement sur les meubles dégradés. La petite chambre de la maternité est plongée dans une pénombre au regard anxieux. S'affermissent la peur, la perte, l'espoir, la lâcheté dans l'aube noirâtre.
Un seul cri, l’unique délivrance. Un couteau qui se porte à la gorge du nouveau-né. A peine arrivé qu’il doit absolument,
nécessairement repartir le bambin…Ses pupilles sont un lac gelé de Sibérie. Il a les yeux de son père. Ou de l’arrière-arrière grand-mère qui s’est suicidée en foutant le feu à ses cheveux. Mieux vaut donc préserver cette terre de cette gangrène. Mieux vaut mettre fin aux jours du petit démon qui pince la vie violemment, qui a déjà cet instinct de survivant. Abréger les souffrances qu'il commettra volontairement.
Il se nourrit goulûment le mignon, il ne lâche pas prise sur sa mère qui sanglote doucement. Elle regrette déjà son manque de courage. Il faudrait éliminer la vermine, c’est la solution la plus judicieuse – si justice il y a dans le meurtre d’un nourrisson. Que va-t-elle faire de ce compagnon des égouts ? Où s’enterre le père ? A qui déléguer son fardeau ?
Elle ne voulait pas, la mère. Est-ce sa faute si ses jambes s’écartent pour un seul ou des milliers d’hommes ? Est-ce sa faute si les larmes coulent sur ses joues à présent ? Est-ce sa faute si son sourire paraît toujours triste ? Pas même désenchantée notre Marilyn, car elle n’a connu aucun enchantement. Pas de fin heureuse pour elle. Pas de joli conte de fées. Le prince charmant a foutu l’camp à l’autel, il a ruiné sa famille. Les éternelles noces funèbres ensuite. Pour finir bien : être une mère mort-née.
Certains affirment ne pas avoir de regrets. Marilyn en a trop. C’est une petite boîte de Pandore qui renferme les pires maux de l’univers. Elle regrette tout. De ne pas avoir gardé son fils. De ne pas l’avoir aimé comme il faut. Il lui manque, il est loin maintenant. De ne pas avoir grandi ou d’avoir grandi trop vite. D’avoir laissé les autres la manipuler jusqu’à ce que douleur et pleurs s’ensuivent.
Elle fixe le miroir de sa salle de bain avec désinvolture, celui qui déforme la réalité. Elle ne s’imprègne pas de son propre reflet. Elle crache dessus, le brise de ses poings. Les phalanges écarlates s’éclatent contre le verre. Elle veut faire taire le passé qui resurgit.
Cendrillon est morte, écrasée par son carrosse-citrouille. La Belle au Bois dormant s’est rendormie, elle a pris trop de somnifères. Quant à Blanche-Neige, elle n’a jamais eu le baiser escompté…
Il n’y eut qu’une seule étincelle de bonheur pour tout faire flamber. Existence avortée. Miss Havisham n’a pas eu le temps de dire
« oui ».
Contez-moi son enfance perdue, la jeunesse épuisée !Il était une fois une princesse à la figure de poupée qui s'apprêtait à épouser un prince, certainement le plus beau du royaume. La mère coiffait les cheveux ondulés d’une très jeune fille, sourire épanoui aux lèvres, qui se pâmait devant sa psyché. Nobles dentelles, aimable frou frou, blanches colombes et aurore blonde. Les cloches déjà scellaient son destin, elles l’appelaient au loin. Un unique baiser sur le front de la future mariée en guise de bénédiction.
Marilyn est une beauté de passage, de celles qui se réveillent, le cœur tourmenté et gonflé d’un bonheur un peu fou qu’on a failli enterrer trop tôt, trop vite. La voilà qui s’avance dans l’allée sainte, la main agrippée au bras paternel. Quelle fierté vénérée par tous ! Tout en elle respire la pureté et la jeunesse innocente. Son regard
le cherche, son sourire se fige dans l’heureux événement à la tournure si fragile.
L’élu de son cœur est remarqué par son absence. On murmure des atrocités sur le compte de cette famille. Pas de promesse
« jusqu’à ce que la mort vous sépare », pas de meilleur, seulement le
pire. La trahison et la ruine. Le voile tragique s’est déchiré, pauvres lambeaux de vie échoués. Elle comprend qu’il ne viendra pas, jamais, même pas en rêve. Pourtant, elle a continué la vie, elle l’a choisie, même si la fuite semblait l’issue la plus raisonnable.
Post-mariage avorté, dévotion à la déchéanceElle a aimé un peu, beaucoup, passionnément. Pas du tout. Elle a goûté la chair virile, elle en a savouré le péché luxurieux. De frêle gamine qu’on emmène à l’abattoir matrimonial, elle est devenue cette créature sauvage et vigoureuse. Son talent pour charmer les désirs de chacun a contribué à sa survie. Elle a offert son corps en sacrifice. Désintérêt total de soi, indifférente aux caresses. Le plaisir du rien. Tous les mêmes, ces hommes, tous rudes et sans panache.
Quand Jonas s’empara de ses lèvres la première fois, elle ne ressentit rien, sinon le même dégoût, la même amertume sur le bout de la langue. La glaciale solitude des êtres. Et puis ce fut tout. Était-il plus doux ? Plus tendre ? Elle ne saurait le dire. Pourquoi s’était-elle soudain intéressée à ce qui se passait sous ses jupes ? Pourquoi le regard bleu du soldat avait-t-il fouillé son âme souillée ? Elle ne saurait le dire. Il était tout et rien pour elle, juste un divertissement, juste de passage. Malgré tout, il fut plus important que nul autre auparavant. Il laissa une empreinte indélébile sur sa peau. L’affection qu’elle lui portait lui chatouillait les entrailles. Honte, c’était honteux, mais elle l’aimait bien le bonhomme plein de rigueur militaire. Elle ne disait jamais non à ses avances. Elle se collait contre son uniforme allemand avec l’impatience d’une midinette. Il cueillait sa bouche, croquait son cou, arrachait son reste de dignité.
Plusieurs mois s’écoulèrent, les rencontres s’espacèrent. Son ventre arrondi effrayait Marilyn. Elle s’épuisait de plus en plus, s’évanouissait en pleine rue. Elle ne pouvait plus, tout simplement, elle ne pouvait plus supporter le poids de deux vies, deux responsabilités dorénavant. Où trouverait-elle la force de nourrir l’enfant qui la réveillait chaque nuit ? Ainsi, quand il naquit, elle voulut mettre fin à ses heures, le petit bâtard à sa môman. Ô bienheureux temps, comparé aux années de tourmentes qui l’attendaient. Ailleurs.
Elle confia Wolf à son géniteur. Elle n’avait pas pu accomplir l’acte fatal. Sa main était trop lâche, avouons-le. Elle abandonna le garçon à un homme qui la regardait comme une erreur de la nature. Elle lui « emprunta » un sérum qui ralentit considérablement son vieillissement. Quelle ironie du sort, elle qui voulait à tout prix crever dans le caniveau.
Ce n’était alors qu’à l’état d’embryon, son regard pétrifiait déjà ses victimes, alanguissant les membres, cependant un pouvoir nettement plus redoutable lui fut accordé. Elle collectionna bientôt des statuettes de cire à taille humaine. C’était la rançon de l’insuccès.
Et maintenant ?Traînant son mal en patience, Marilyn poursuivit son petit business de chambre jusqu’à ce qu’un monsieur, plus grand, plus intimidant, la trouve sur son lit d’amour. La jolie dame, bouche en cœur, bas résille, ne s’attendait guère à une visite de courtoisie. Les mots suffirent à stimuler un enthousiasme dangereux pour une cause dont elle ne mesurait pas l’ampleur. La haine de l’homo sapiens n’était ni plus ni moins qu’une haine infantile contre la race qui l’avait condamnée depuis ce jour funeste, le jour de son crash-mariage.
Elle suivit son nouveau maître sans penser une seule fois aux conséquences néfastes, aux innombrables victimes. Elle avait soif de guerre, de sanglantes traversées, de paisibles vallées, autrement dit, un monde neuf. Magneto lui offrirait cela. Il libèrerait ses frères de la menace ambiante instaurée par la Grande Purge. Il sauverait la race supérieure.
Quant à Lady Havisham, elle ferait tout pour abolir la peur qui lui laboure l’estomac. Si pour cela il faut se battre à mort, elle n’hésitera pas une seconde de plus. Adviennent la terreur et la gloire, la grandeur et la décadence.
Alors peut-être vais-je bien…