[Event] Un conte de Noël : passé

Face à ce phénomène aussi soudain qu'inexpliqué, Amora se mit instinctivement en position défensive. Bien en appui sur ses pieds, les genoux légèrement fléchis, elle était prête à bondir sur le côté pour esquiver un coup, ou bien à se mettre à courir pour échapper à un danger. Légèrement penchée en avant, les bras écartés et les mains ouvertes mobilisant déjà sa magie, elle était sur le qui vive, tous ses sens aux aguets. Que venait-il de se passer ?

Quelques instants plus tôt, elle était en pleine négociation avec un marchant nain sur une planète mineure du système Marrha. Et voilà qu'à présent, elle se retrouvait sur un monde totalement différent. Le paysage d'acier et de métal en fusion, foyer d'une multitude de forges de cette planète industrielle avait laissé place à une plaine enneigée par une belle journée d'hiver ensoleillée. Terminées la chaleur étouffante des forges naines, et la puanteur du travail du métal. Une brise fraiche soufflait, transportant avec elle les senteurs des pins.

Ce paysage, Amora ne le connaissait que trop bien. La forme de ces montagnes qui se dessinaient à l'horizon, les parfums aussi subtiles qu'apaisants qui flottaient dans l'air ... et surtout, cette magie revigorante qui parcourrait tout son être. Un seul et unique endroit était en mesure de lui faire ressentir cela. Asgard.

Un curieux tintement dans l'air la fit se retourner dans un mouvement aussi agile que rapide. Ce fut à ce moment là qu'elle prit conscience de la présence du fils d'Odin. Il ne portait ni armure, ni marteau, simplement vêtu d'une tunique de qualité, et malgré tout sobre, par dessus laquelle une cape de couleur neutre enveloppait le prince. A ses côtés, flottant dans les airs, une sphère de lumière était comme suspendue. C'était de là que provenait le son qui avait attirer l'attention de l'Enchanteresse.

« Comment as-tu fait ? », demanda-t-elle aussitôt à Thor, sur un ton légèrement agacé, omettant même au passage de le saluer.

Face à la remarque de Thor, l'Enchanteresse haussa un sourcil, incapable de dissimuler davantage son scepticisme. Qui n'avait jamais entendu un jour une histoire parlant d'un benêt jouant avec un artéfact sans même avoir conscience de ce qu'il avait entre les mains, et qui par le plus grand des hasards, en activait la magie par accident, avec de terribles conséquences ? Ce genre d'anecdotes ne manquait pas à travers les Neuf Mondes. Or, si Thor n'était pas un imbécile, il lui arrivait parfois de se retrouver en fâcheuse posture suite à un manque de discernement.

Lorsque le prince indiqua que l'entité à ses côtés était responsable de ce curieux phénomène, la magicienne fixa la sphère lumineuse d'un regard aiguisé et empli d'animosité. Elle avait déjà lu des parchemins traitant de ce genre de créatures ... pensant qu'il ne s'agissait que de superstitions sans fondements ... et là ... il semblait qu'elle tenait la preuve qu'il en était tout autre. Les bras croisés devant elle, elle resta silencieuse, tandis que l'Esprit des Yules passés glissait dans les airs. Se sentant visiblement convié à suivre cette choses, Thor lui emboita le pas ... confirmant à Amora ce fameux 'manque de discernement' auquel il pouvait parfois être sujet.

« Tu es sûr de toi ? », lui lança-t-elle, à la fois agacée et nerveuse.

Et vu que le Fils d'Odin continua sa route, il semblait que oui, il était sûr de lui. Ecartant les bras avant de les laisser retomber mollement le long de sa taille, manifestation de son exaspération, Amora poussa un râle mêlé à un soupir de résignation, avant de les suivre à son tour. Dans quoi allait-il encore les fourrer ...?

Après quelques minutes de marche, les abords d'un village apparurent. A en juger par l'architecture et les matériaux utilisés, il s'agissait plus d'une bourgade que d'une ville. Tout le peuple d'Asgard ne prétendait pas au luxe de la Cité d'Or, et certains de ses membres menaient une vie bien plus austère.

En silence, suivant le prince et l'Esprit volatile, l'Enchanteresse entra dans le village, avec la tête haute, le menton relevé, le dos bien droit et une démarche pleine de dédain. Ce genre d'endroit ne lui réservait jamais un accueil très chaleureux ... c'était même tout le contraire. Méfiance et rejet étaient tout ce qu'elle aurait ... dans ce genre d'endroit bien plus que n'importe où sur Asgard, ce qui était peu dire. Sa réputation n'était plus à faire.

Sans s'arrêter, l'Esprit vogua jusqu'à la taverne du village, y entrant en passant à travers la porte. Continuant de le suivre, Thor entra à son tour.

« On est vraiment obligé de faire ça ...? », se lamenta la magicienne.

De tous les endroits que pouvait contenir ce genre de bouges ... les tavernes étaient les pires. Alcool et asgardiens ne faisaient jamais bon ménage à la longue ... et encore moins quand une personne comme Amora était intégrée à l'équation. Mais refusant de laisser Thor seul (à moins que ce ne fut elle qu'elle refusa de laissait seule dans ce coin perdu), elle décida d'entrer à son tour dans l'établissement.

A l'intérieur, de fortes odeurs d'alcool, le cuisine, de feu de cheminée et de sueur la prirent à la gorge. Incommodée, elle posa délicatement le dessus de sa main sous son nez. L'ambiance était conviviale et festive, et surtout, très bruyante. Les chants célébrant Yule étaient entonnés à tue-tête, accompagnés de rires et de grands renforts d'alcool agrémenté d'épices de Yule. Les plats circulés de table en table, tandis que les serveuses apportaient toujours plus de boissons. Une atmosphère joviale et chaleureuse, qui, Amora n'en doutait pas, ne tarderait pas à tourner au vinaigre aussitôt que quelqu'un l'aurait reconnue.

Prêt de l'une des cheminées, une table libre proposait deux places. L'Esprit des Yules passés tournoyant doucement autour, les deux Ases y prirent place, et rapidement, l'une des serveuses y déposa deux cornes creuses emplies d'hydromel arrangé, tout en adressant un sourire à ses deux clients. De nouveau seuls, Amora haussa un sourcil.

« C'est moi ou bien ... elle ne nous a pas reconnus ? »

Silencieuse, Amora observait cette scène avec un air sceptique. Assise bien droite sur sa chaise, les jambes croisées au niveau des chevilles, elle trouvait tout cela bien charmant et candide, mais ne percevait toujours pas la raison de toute cette histoire. Pourquoi cet esprit fantasque les avait conduits ici ? Une main posée sur la table de la taverne, par moment, ses doigts pianotaient de façon irrégulière et imprévisible, manifestation de son inconfort et de sa patience mise à l'épreuve. Sur le bois, ses ongles émettaient un son caractéristique, mais toutefois noyé dans l'ambiance locale.

Soudain, lorsque l'un des clients l'invita à danser, elle eut par réflexe un léger mouvement de recul face à cette main tendue dans sa direction, toisant de haut en bas l'Ase qui s'était présenté. Un bon bougre, à n'en pas douter ... mais ce genre d'amabilité à l'encontre de l'Enchanteresse, n'était jamais sans arrière pensée ... plus depuis des siècles tout du moins. Et lorsque Thor, de par sa réponse, la poussa dans le grand bain, elle se retourna immédiatement sur lui, le fusillant du regard. Comment osait-il l'abandonnée dans une situation pareille ?!

La magicienne était sur le point de décliner d'une manière des plus sèches cette invitation, lorsqu'elle vit l'Esprit des Yules passés frétiller à côté d'elle, y ressentant une forme d'encouragement à jouer le jeu. Roulant des yeux, Amora poussa un soupir de résignation, avant de saisir la main de son nouveau cavalier. Bien heureux d'avoir trouvé pareille demoiselle pour danser, l'Ase l'entraîna au milieu de la taverne avec les autres danseurs.

Là, au son des divers instruments à cordes et à vent, ils se lancèrent dans une danse traditionnelle des fêtes asgardiennes. Depuis combien de temps l'Enchanteresse n'avait-elle plus exécuté ces pas ? Elle n'était pas capable de le dire, ayant depuis longtemps pris ses distances avec ce genre de rassemblement populaire. Si bien que dans un premier temps, elle se montrait parfois hésitante dans ses pas et dans ses gestes, se contentant plus de suivre les autres danseurs autour d'elle qu'autre chose. Mais, petit à petit, elle retrouvait ses marques, comme si son corps se souvenait de lui-même. Petit à petit, elle se laissait gagner par l'ambiance et les festivités, retrouvant presque de l'entrain et finissant par prendre plaisir à participer à cette danse avec d'autres. Et bientôt, elle retrouva les rythmes, claquant des mains en chœur avec son cavalier, tournant sur elle-même au moment opportun, exécutant un jeu de jambe et autre petit saut sur la bonne mesure. Amora se surprit même à sourire et à rire, emportée par le rythme de la musique qui devant l'implication des danseurs devenait de plus en plus rapide, et rendait la chorégraphie toujours plus vive.

Bientôt, après une nouvelle pirouette, elle se retrouvait avec un nouveau cavalier, la danse se poursuivant, sur un rythme toujours plus endiablé. Yule était célébré par ce chant et cette musique, le deuil d'une année écoulée, et la promesse du retour des jours plus longs et plus cléments. En attendant le printemps, il était bon de passer le temps en dansant, chantant, buvant, et surtout, en se réunissant pour partager les souvenirs de cette année écoulée.

Ainsi, au gré des pas de danses, des cris, des chants et des claquements de mains, Amora passa de partenaire en partenaire, l'ambiance dans la taverne battant son plein, chaque homme présent semblant vouloir avoir son moment avec l'Enchanteresse. Virevoltant dans cette danse qu'à présent elle avait l'impression de ne jamais avoir oubliée, les cheveux d'or de la magicienne, ainsi que les voilages verdoyants de sa tenue, semblaient à leur tour danser autour d'elle. L'espace d'un instant, elle avait l'impression d'être revenue dans le passé, du temps de sa jeunesse, avant qu'elle ne soit devenue l'Enchanteresse, une personne autant haïe qu'enviée par le peuple d'Asgard.