Je traverse la rue, Jekyll, ma Border Collie, trottinant joyeusement et sans complexe derrière moi. Non ma fille, tu n’as pas de quoi être fière, vraiment. Je lève les yeux au ciel, exaspéré, en continuant de marcher : ce petit démon bipolaire a eu une petite crise de folie, et s’est probablement dit que passer ses nerfs sur les oreillers du canapé pourrait être l’idée la plus grandiose du siècle… J’aurais bien voulu voir ma tête, quand je suis rentré dans le salon et que j’ai découvert un océan de plumes s’échappant des coussins éventrés… Mais j’ai pas spécialement envie de voir la tête d’Erika, au réveil, quand elle le découvrira. J’ai fait disparaître les preuves, dans un grand sac poubelle, et faudra sûrement que je rachète de nouveaux coussins pour les remplacer, mais je me dis que, pour faire passer la pilule, je pourrais ramener une douceur, comme une pâtisserie, histoire de détendre l’atmosphère. Enfin, plus j’y réfléchis et plus je me dis qu’Erika n’est pas vraiment le genre que l’on achète avec une simple pâtisserie. D’ailleurs, e ne suis pas franchement sûr qu’elle prendrait cette histoire de coussins au sérieux, mais bon, ce sont mes chiens, et je me sens responsable de leurs dégâts. Et puis, il faut que je calme un peu le monstre, en la faisant courir, histoire de la canaliser : elle a plus besoin de se dépenser que les autres.
J’entre dans le salon de thé après avoir intimé à Jekyll de se tenir tranquille et sage, la sermonnant avec mon index dressé : elle sait très bien ce qu’elle a fait, mais elle n’a pas vraiment l’air de voir ça sous le même angle que moi. Canaille. Poli, je salue les personnes présentes, clients et vendeurs, et attends docilement mon tour, Jekyll sur mes talons. Mais alors que mon tour approche, une boule de poils blanche attire mon attention, venant titiller de sa truffe mon démon de Border Collie. C’est un Berger blanc suisse, enfin, une femelle, et elle est magnifique. Un large sourire vient étirer mes lèvres, tandis que Jekyll et elle échangent des coups de truffe et des renifflades, Jekyll attendant la permission pour sortir de mes jambes et jouer avec sa nouvelle copine. Je la flatte, pour qu’elle se tienne tranquille, puis j’approche doucement ma main de la belle blanche, un sourire fasciné aux lèvres : « Hé, salut beauté… Je t’assure que tu n’as pas envie de jouer avec Jekyll, c’est un véritable pot de colle, tu en auras marre avant elle. Tu es vraiment belle…» Je la caresse doucement, et comme d’habitude, mon charme naturel s’exerce sur la gente canine. J’en oublie que c’est à mon tour de prendre ma commande, cajolant la chienne en l’auscultant, par réflexe. Elle est racée, des mensurations plus que correctes, je note juste qu’elle semble un peu patraque, un léger abattement. Je contrôle la moiteur de sa truffe, observe un peu ses yeux et… prends enfin conscience du fait que le patron me regarde. Je me relève, en souriant : « Excusez-moi, déformation professionnelle. C’est une jolie demoiselle que vous avez là. »
Cette journée commença comme toutes les autres. Je me levai vers 4h du matin, pris un petit déjeuner typiquement français composé de croissants invendus de la veille et d'un grand bol de café (il fallait au moins ça pour me sortir de ma phase marmotte), allai prendre une douche bien chaude, puis attrapai la laisse et appelai Ammy pour sa première promenade de la journée. La chienne blanche arriva en trottinant, comme d'habitude, baillant à s'en décrocher la mâchoire, et s'assit bien sagement en attendant que je lui passe son collier autour du cou. Car non, à l'intérieur elle ne portait aucun collier. Ca abîmait sa fourrure que je m'évertuais à garder aussi belle que possible, donc zut à la fin. Et de toute façon je l'avais bien dressée, et elle n'était pas de nature fugueuse, donc elle ne se retrouvait jamais à errer dans les rues sans moi. Après notre balade habituelle, je rentrai donc pour achever de préparer les quelques pâtisseries et éventuelles finitions sur lesquelles je ne pouvais pas m'avancer la veille. Être pâtissier, croyez-moi c'est du travail, bien plus qu'on ne croit ! Surtout lorsqu'on est seul. Mais je ne m'en plains pas, c'est ma passion. C'est ce que j'ai toujours voulu faire, depuis que je suis enfant. Donc j'étais au contraire plutôt content de me lever tout les matins aux aurores. Même si, pour faire de nouvelles rencontres et sortir le soir, ça ne me laissait pas beaucoup de possibilités, c'est vrai... Mais enfin bref !
A sept heures et demi précise, j'ouvris la boutique. A ces heures-là, il n'y a en général pas grand monde, à part parfois Anna, qui revient crevée d'un voyage à l'autre bout du monde, ou bien des personnes passant par là avant d'aller au travail et qui s'achètent de quoi manger sur la route en coup de vent. Des clients que parfois je revois tout les jours, d'autres plus occasionnels. Rien d'inhabituel.
Je ne remarquai qu'Ammy avait quitté sa place habituelle que lorsque je baissai les yeux vers la prochaine personne à servir, qui semblait mettre du temps à venir. Tiens... Je comprenais pourquoi elle avait bougé, elle qui normalement ne s'approche que de Billy, Anna, ou Lilian. Cet homme avait avec lui un compère à camarade quadrupède, qui visiblement intriguait beaucoup mon Ammy. Un sourire s'esquissa sur mes lèvres devant la scène. Le propriétaire du border collie devait avoir un sacré bon feeling avec les chiens, pour que ma boule de poils se laisse approcher comme ça sans protester, et agitant même son plumeau blanc dans son dos. Je fronçai légèrement les sourcils en le voyant l'ausculter, et je dois bien avouer que ça réveilla en moi une petite inquiétude. J'avais bien vu ce matin qu'elle avait un peu traîné la patte sur la fin de la promenade, mais sur le coup je ne m'étais pas plus inquiété que ça... Le fait qu'un inconnu semble remarquer que quelque chose n'allait pas ne me rassurait pas.
- Ce n'est rien, du moment qu'elle n'y voit aucun inconvénient, moi non plus. répondis-je en lui retournant le sourire. Et puis de toute façon, il n'y a personne qui attende derrière vous, alors... Je vous remercie pour elle, d'ailleurs son nom est Ammy. J'aime beaucoup l'allure de votre chien, même si j'ai l'impression que c'est un véritable petit monstre, hein ? Comme beaucoup de border collies, de ce que j'en savais. Les chiens de berger sont souvent très énergiques, et c'était d'ailleurs le cas de la demoiselle blanche qui partageait actuellement ma vie. ... Vous êtes vétérinaire ?
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