dossé contre la vitrine à l’extérieur de la boutique, Jay profitait de ce qui semblait être un bug dans la matrice. New York toujours bouillant, toujours brillant, était calme ce matin-là. Le magasin de comics n’était certes pas implanté dans la rue la plus fréquentée, mais à ces heures-là il y avait toujours quelques personnes qui passaient. Des hommes en costumes qui marchaient vers les bureaux de la rue perpendiculaire un peu plus loin, ou bien des femmes d’âge mur qui rentrent chez elles avec des sacs de courses bien remplis. Jay souffla la fumée qu’il avait gardé quelques secondes dans les poumons. Il pinça à nouveau le joint entre ses lèvres et prit une dernière bouffée avant d’écraser son mégot dans son cendrier de poche et d’entrer à nouveau dans le magasin. La station radio diffusait des chansons de vieux rock tout à fait à son goût. Les dieux du rock le sauveraient de l’ennui !
Comme il n’y avait pas de clients il s’installa derrière le comptoir avec un exemplaire de Green Arrow qu’il n’avait pas encore eut le temps de lire. Les matinées tranquilles comme celle-là étaient les préférées de Jay. Il aimait son boulot, c’était vraiment le job parfait pour un vrai fan de comics comme lui, mais il faut bien reconnaitre qu’avoir un moment pour glander discrètement de temps à autre n’est jamais de refus ! Et puis il fallait bien qu’il se tienne au courant des dernières publications des séries qu’il vendait non ? Sinon il ne serait plus un vendeur aussi efficace ! Il leva son soda et sans lâcher la BD des yeux il essaya de mettre la paille dans sa bouche, et il n’y parvint qu’après quelques tentatives et quelques secondes de ridicule total. Quand il aspirât, un gargouillait se fit entendre. Jay regarda sa bouteille d’un air déçu. « Pourquoi faut-il que les bonnes choses se finissent aussi vite ? » Il reposa la bouteille et repris sa lecture.
Les matinées tranquilles avaient d’autres avantages pour Jay. La boutique était située dans un quartier d’habitation. Pendant la journée presque tous les habitants étaient à l’école ou au travail, laissant ces immeubles presque vides. Le chaos d’émotions dont Jay subissait la perception chaque jour diminuait alors un peu. Les personnes restantes dans l’immeuble ou bien les passants dans la rue… Il pouvait les sentir mais faiblement. Ce n’étaient que des bruissements au loin qui n’étaient pas si gênant. La weed l’aidait aussi à atténuer sa perception. Même si il était un mutant il subissait les quand même les effets de cette bonne vieille marie juana. Il était comme sur un petit nuage, insouciant. Il avait l’impression que les émotions des autres lui parvenaient étouffées. Moins de risque de migraine si quelqu’un de très énervé passait près de la boutique comme ça.
Une chanson d’AC/DC venait de finir à la radio. Les présentateurs commencèrent à parler sur le ton ultra-commercial qui était le leur, annonçant la chanson suivant : Shake it off de Taylor Swift. « Nan mais vous êtes sérieux là les mecs ?? » Demanda Jay à voix haute d’un air interloqué en regardant le poste de radio. Combien avaient-ils été payés pour diffuser cette satanée chanson ? On l’entendait partout en ce moment. Dans le bus, au supermarché, des sonneries de portables de lycéennes dans la rue… Il éteignit le poste de radio, révolté par la trahison au Rock que constituait la diffusion de cette chanson. Il essaya de continuer de lire son comic, mais il savait d’avance qu’il était fichu. La satanée voix de Taylor Swift continuait de résonner dans sa tête. Il posa la BD et attrapa sa guitare, toujours à portée de main. Il gratta quelques accords de chanson qu’il aimait bien, mais il finit par dériver et par essayer de retrouver ceux de Shake it off. Il avait une plutôt bonne oreille et finit par trouver. Il entama de faire sonner les accords jusqu’à trouver la bonne rythmique. Sans en être vraiment conscient il commença à chantonner. « I stay out to late… Got nothing in my brain… That’s what people say ! Hmmmhmmm… That’s what people saaaayy ! Hmmmhmmm ! » Il se leva de sa chaise et se promena dans les allées du magasin. Plus il avançait dans la chanson et plus sa voix s’affermissait. Il accélérait le rythme de la chanson, modulait sa voix, rendait la chanson plus rock. C’est le problème des chansons qui restent dans la tête. Elles finissent par nous obséder et par nous ôter toute raison. L’esprit de Jay flottait à présent sur la mélodie de la chanson pop. Il fallait qu’il l’admette : il était en train de kiffer sa race. « 'Cause the players gonna play, play, play, play, play ! And the haters gonna hate, hate, hate, hate, hate ! Baby, I'm just gonna shake, shake, shake, shake, shake ! » Alternant entre une voix érayée et profonde et un ton plus aigüe et doux, cette chanson n’avait jamais été aussi intense. Emporté dans son élan, il tournant sur lui-même en chantant le désormais classique « Shake it off !!!! »
Il plaqua immédiatement sa main sur les cordes de sa guitare pour faire cesser la vibration. Le silence se fit tandis qu’il fixait avec des yeux ronds comme des assiettes la personne qui se tenait sur le pas de la porte de la boutique. Une jeune femme aux longs cheveux roux le fixait sans rien dire. LA gêne qui émanait d’elle n’était dépassée que par celle que ressentait Jay. Il posa la guitare contre le comptoir et s’éclaircit la gorge. « Je répétais pour l’anniversaire de… ma nièce. Toute jeune, déjà une fan inconditionnelle de Taylor Swift. » Affirmât il en n’ayant l’air qu’à moitié convaincu. Après quelques secondes d’un silence gênant il se rappelât enfin quel était son rôle dans le magasin et sourit à sa cliente. « Je peux vous aider ? »
WILDBIRD
Mar 8 Mar 2016 - 9:16
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Shake it off ?
J’avais passé une nuit terrible. Mes cauchemars étaient revenus, d’un coup, alors que je ne m’y attendais pas. Cela faisait un long moment que je n’y avait plus pensé, que cela n’était pas revenu me hanter – mon enfance, mon père, le cri des villageois qui me poursuivaient en criant « Au bûcher », et le tout mené par mon père. Qui ne l’avait jamais réellement été. Vouloir sacrifier son propre enfant en criant au loup, parce qu’elle était une pauvre mutante – et rousse – qui se changeait en loup ? A la bonne heure, je n’étais qu’un monstre pour eux. Et sans Moira qui, elle, si elle n’était pas ma mère, l’avait quelque part été, je ne sais pas où je serais à ce moment-là. Sans doute pas ici. Je ne le montre pas, j’essaie de ne pas le montrer, mais toute cette histoire m’avait longtemps affectée, et si aujourd’hui c’était passé… Il arrivait que je cauchemarde encore de ce jour fatidique. Comme cette nuit.
Je chassais mes pensées en m’aspergeant le visage d’un bon coup d’eau froide, avant de filer à la douche et de m’habiller. Un pantalon noir, un petit haut, et le sweat ours tout doux que m’avait offert Bobby… Et que je ne lâchai plus. Que j’adorai. Bon, je l’avoue : je n’aurais jamais osé me prendre ça moi-même mais… Vraiment, je l’adorais, comme j’adorais mon « frère », et c’est pourquoi je décidais d’ailleurs de sortir (je n’avais pas cours et avais bien avancé mon devoir), afin de me rendre dans un magasin spécialisé dans tout ce qui était comics… Et si j’avais généralement le nez plus plongé dans mes Shakespeare qu’autre chose, je me disais que, pour faire plaisir à Bobby, peut-être, un comics… Après tout… Je ne savais pas s’il aimait, mais… Je pouvais toujours tenter ? Quelle audace ma chère Rahne ! J’en frémissais. J’étais déjà beaucoup trop audacieuse, à propos de Fenrir.
J’avais une adresse, il me suffisait de suivre la route, et d’y entrer… Ce que je fis, en hésitant tous les deux pas, voulant reculer et battre en retraite, mais… La petite cloche de la porte d’entrée du magasin tinta légèrement, si légèrement qu’elle était couverte par le bruit de… Hum… Une voix masculine qui chantait. Pourquoi j’étais rentré ici, déjà ? Pas pour voir le vendeur, guitare en main, tourner sur lui-même en chantant Shake it off, en tous cas. Mais c’était… Amusant. Oui, j’étais amusée – puis soudainement, lorsqu’il me vit, mon amusement fit place à une sentiment de gêne intense. Je venais de le perturber dans son intimité, peut-être n’aurais-je pas dû me trouver là, je savais bien que j’aurais dû rester dans ma chambre à terminer la rédaction de mon commentaire de texte…
L’homme posa la guitare sur le comptoir, et son excuse m’arracha finalement un sourire timide et légèrement amusé. Très légèrement, je n’étais malheureusement pas très ouverte, surtout en présence d’inconnu. Surtout après d’avoir vu… Ce que je venais de voir. Et je ne répondis pas, trop timide pour trouver quoi que ce soit à lui retourner, laissant le rouge me monter aux joues. Le silence s’étendait et je maudissais mon manque de confiance en moi lorsqu’il reprit la parole. Je fis quelques petits pas en avant, peu sûr de moi, et finissait par demander d’une petite voix, après hésitation :
« Hm, je... J’aurais voulu offrir un comics à… Mon frère, mais… Je n’y connais absolument rien. Pas… Pas même ses goûts, en fait… Hm… Vous… Pourriez-vous m’aider ? »
Et voilà, j’avais viré pivoine. Un peu de contenance, un peu de courage, Rahne, que diable !
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