[Mission] Ennemis de la nation

L'audition terminée et la séance sénatoriale levée, les représentants du peuple se levèrent pour quitter la salle. De son côté, Jean descendit du pupitre pour rejoindre les agents du FBI et Coulson, une main fébrilement portée sur le collier qui bloquait toujours ses capacités mutantes. Autour d'eux, la solennité que les lieux avaient connue durant toute l'audition, venait d'être balayée par le bruit assourdissant que généraient les conversations qui avaient éclaté entre les membres du public, les questions lancées par la cohorte de journalistes rassemblés et le mitraillage des appareils photo.

Escortée par les agents gouvernementaux qui lui frayaient un chemin au milieu de la foule, la mutante quitta à son tour la salle d'audition pour se rendre dans le couloir principal. Sous les hauts plafonds des lieux, le brouhaha se propagea, s'amplifiant en résonnant. Entre les colonnes de marbre, d'autres journalistes étaient également présents, relayant les informations en direct à leur chaîne respective. L'une des équipes, repérant la mutante, se précipita sur elle, et ceci malgré la tentative des agents de les retenir. Sa progression entravée, Jean n'eut d'autre choix que de se retrouver face à un micro qu'on lui tendait.

« Docteur Grey, après la Sokovie, le Sin-Cong est la seconde nation que l'Institut Xavier dénonce publiquement. Quel est l'intérêt de l'Institut a ainsi discréditer de petits pays sur le plan international ? »

Surprise par une telle question, et surtout par un tel raisonnement, Jean eut un mouvement de recul face à ce micro quelque peu intrusif. Durant une fraction de seconde, elle sentit une pointe de panique la gagner.

« Cela n'a jamais été dans nos intentions. Nous voulons simplement - »

Mais déjà le micro s'était retiré, ne laissant pas la mutante aller au bout de son explication. Sans attendre une nouvelle question était formulée, aussi inattendue que la précédente, avant que la parole soit de nouveau rendue à la rousse.

« En présentant les mutants comme des agents dormants de l'ennemi, ne craignez-vous pas d'accentuer la méfiance et la haine envers les mutants ?

- Qui parle d'ennemi ? J'ai juste prévenu d'un danger potentiel afin de protéger non pas les mutants, mais toute la population de manière générale. Nous sommes tous - »

Un nouveau retrait du micro coupa une fois de plus la parole à la mutante, pour déboucher sur une troisième question.

« Vous comptez vous remettre avec Scott Summers ?

- Quoi ?! Qu'est-ce que ... ? »

Soudain, des cris de panique en provenance de la salle d'audience attirèrent l'attention du plus grand nombre, y compris de l'équipe de journalistes, qui une nouvelle fois récupéra son micro, sans attendre la réponse du Docteur Grey. Manifestement, un sujet plus intéressant se jouait plus loin. Bousculant les gens sur leur passage, plusieurs agents de sécurité du bâtiment remontèrent le couloir au pas de course en direction de la salle d'audience. En sens inverse, plusieurs personnes en sortaient en courant, affolées et hurlant de terreur. Quelques instants plus tard, sur la radio de l'un des agents du FBI, une annonce crépita.

« -ine vient de t-er un sé-ateur. -e répète : Wolve-ine est dans -e bâti-ent et i- -ient de tuer un -nateur ! »

Ignorant les commentaires des journalistes, Jean se tourna vers Coulson, le regard plein d'incompréhension, et les sourcils légèrement froncés par la contrariété. Une fraction de seconde, la panique la gagna. Mais tout ceci n'avait aucun sens. Se ressaisissant, elle se rapprocha de l'agent du SHIELD. C'était une erreur, Logan n'était pas sur le territoire.

« Agent Coulson ... c'est impossible. Je ne peux pas vous dire comment je le sais ... mais Logan n'est pas sur le sol américain. Il ne peut pas avoir tué ce sénateur. »

Soudain, le sang de Jean se glaça dans ses veines. Pourquoi la sécurité pensait-elle que le coupable était Wolverine ? Pourquoi affirmer une telle choses sans en être sûr ? A moins que ... à moins qu'ils ne pensent avoir vu le X-men ... ou quelqu'un lui ressemblant.

« Seigneur ..., murmura la rousse pour elle-même, le regard dans le vague, avant de se reprendre malgré la peur dans son regard. Faites évacuer le bâtiment ! Et ne tentez pas d'arrêter le tueur, ou vous courrez au massacre. »

L'agent Coulson prit en compte la mise en garde et des conseilles de la mutante. De toute évidence, il lui faisait confiance, leur mission commune sur l'étrange île aidant sous doute à cela. Pour autant, il l'informa que son devoir en ce jour était d'assurer la sécurité des représentants de peuple. Jean comprenait parfaitement, hochant de la tête pour lui indiquer qu'elle avait saisi le message. Ce fut à ce moment, que l'agent du SHIELD lui offrit la possibilité de rester malgré tout avec lui. De toute évidence, lui et son équipe connaissaient les lieux et surtout, les chemins d'évacuation que leurs protocoles avaient sans doute envisagés. Sortir d'ici malgré la cohue ambiante serait sans doute plus rapide en suivant les agents gouvernementaux et leurs protégés.

Coulson eut alors une étrange hésitation, avant de finalement proposer à Jean de lui retirer le collier inhibiteur. Pourquoi prendre ce risque ? Après tout, la rousse était toujours à proximité des sénateurs, ceux-là même pour qui on lui avait mis ce dispositif. Mais la réponse était évidente. L'agent SHIELD préférait avoir une télépathe en pleine possession de ses moyens, plutôt que privée de ses pouvoirs, si d'aventure ils étaient amenés à croiser la route du tueur.

« Je ... je ne sais pas ... », bafouilla Jean.

Nerveusement, elle regarda autour d'elle. Tous ces gens paniqués, tentant de fuir pour sauver leur peau, terrifiés sans même forcément savoir pourquoi. Sans ce collier, elle serait exposée de plein fouet à tout ce maëlstrom d'émotions fortes et intenses. Tout autant d'assaut à repousser pour ne pas se laisser submerger par le flot de panique de toutes ces personnes. Mais d'un autre côté, si elle devait se retrouver face à Daken, mieux valait qu'elle soit en pleine possession de ses moyens, ses pouvoirs étant sa meilleure chance de lui tenir tête.

« Peut-être ... »

L'agent Coulson lui retira alors le dispositif inhibiteur.

Le silence se prolongea tout au plus une seconde avant que ... Soudain, la télépathie de Jean de nouveau éveillée, elle perçut comme elle l'avait présagé, l'assaut de toutes ces pensées tourmentées environnantes. Une véritable tempête émotionnelle, violente et chahutante, faite de peurs viscérales, d'angoisses, de stress, de douleurs. Une mer de bris de verre agitée dans laquelle Jean venait d'être plongée, et où chaque arête effilée était tout autant d'éraflures faites sur sa psyché.

Fermant les yeux, Jean tenta de se concentrer, et ceci malgré la soudaineté de cet assaut, de confiner son esprit, de le renforcer, pour repousser toute cette pression. Dresser des barrières, consolider sa propre santé mentale, c'étaient là des objectifs de premier ordre. Petit à petit, la rousse sentait la pression de toutes ces émotions diminuer, les voix de toutes ces pensées s'amenuir, puis se taire. Elle se sentait grandir psychiquement, libérée de ce poids étouffant qu'avaient été toutes ces consciences environnantes subitement lâchées sur elle. Le calme, la stabilité et la sérénité d'esprit ... c'était ce que la télépathe était en train de restaurer en son sein.

Une grimace ourla légèrement le coin de sa lèvre supérieure, fronçant ses sourcils alors qu'elle avait toujours les yeux clos. Une faiblesse dans ses défenses ? Non ... ça n'y ressemblait pas. C'était ... plus insidieux. Comme venu d'un autre front. Quelque chose qui naissait en elle ... non. Plutôt quelque chose qui s'infiltrait en elle, pour ensuite s'y développer. Etait-il possible que ... Non, pas maintenant ! Pas à ce moment précis ! Elle sentait ses défenses mentales s'effriter, comme érodées seconde après seconde par une force extérieure, et ceci sans qu'elle ne puisse rien y faire.

Rouvrant les yeux, une expression de panique dans le regard, Jean reporta son attention sur Coulson.

« Partez ! »

La demande, plus impérieuse dans le son de sa voix que ne l'aurait souhaité Jean, ne laissait pas de place à la négociation. Coulson et ses hommes ne devaient pas l'attendre, et encore moins tenter de l'aider. Car bientôt, la mutante en était conscience, effrayée à l'idée de ce qu'il se produirait d'ici quelques instants par son biais, elle ne serait plus en mesure de se contrôler.

Déjà, elle était paralysée. Tétanisée sur place par une force qui peu à peu prenait le contrôle en elle. Ses propres pouvoirs lui échappaient, l'enserrant sur place dans un étau invisible. Mobilisant toute sa volonté, elle tentait de lutter, de ralentir le phénomène, afin de laisser davantage de temps aux gens pour s'éloigner ... pour quitter ce qui ne manquerait pas de devenir leur tombeau. L'avertissement de Charles lui revint alors en mémoire : elle était une télépathe hors norme, détentrice d'un pouvoir dont lui-même ne pouvait deviner l'étendue. Si elle échouait à contrôler cette puissance, le pire pourrait arriver.

Serrant les poings et la mâchoire sous l'effet de concentration déployée, Jean se sentait peu à peu perdre le contrôle ... Etait-ce l'île ? Ce phénomène dont elle avait expliqué l'effet devant les sénateurs durant l'heure précédente ? Elle avait pourtant espéré être assez forte pour résister à l'influence de cette conscience perdue au cœur de l'océan. Lentement, son corps raidi se mit à léviter, s'élevant au dessus du sol marbré du bâtiment. Malgré tous ses efforts, la rousse le sentait, son pouvoir lui échappait, elle devenait un instrument pour une volonté qui n'était pas la sienne. Sa télékinésie à présent en roue libre, la structure de l'édifice ne tarda pas à être prise de tremblements, des vibrations qui firent vrombir la totalité de la bâtisse, soumettant les matériaux de construction à des tensions anormales. Bientôt, les première vitres se fendirent d'étoiles, avant de voler en éclats. Puis, ce furent les murs qui craquèrent jusqu'à se voir couverts de fissures.

Soudain, Jean rouvrit les yeux en grand, une expression de terreur sur le visage, alors que ses lèvres s'ouvraient dans un cri qui ne sortit jamais, le souffle coupé, la sensation d'une chute dans le vide s'emparant d'elle à cet instant précis, comme si le dernier mousqueton de sécurité venait de lâcher, la laissant disparaître, engloutie dans le néant.