[Mission] Ennemis de la nation

Progressivement, Jean sentait sa volonté être étouffée par une force extérieure, exilée peu à peu dans les méandres de sa conscience. C'était comme si quelque chose l'engourdissait, lui faisant lâcher prise sur le contrôle de son propre corps, l'écartant du devant de la scène.

Dépouillé de la volonté de la rousse, son corps se détendit, flottant au dessus du sol, sa tête basculant lentement en arrière. Elle était comme suspendue dans les airs, dans un état d'inconscience. Libérés des entraves que représentait la volonté de la mutante et du contrôle de cette dernière, ses pouvoirs se manifestèrent de manière erratique, comme livrés à eux-mêmes. Sans Jean pour les canaliser, ils étaient à présent tel un cours d'eau privé de son lit, se déversant en tout sens, irradiant de son corps dans le plus grand des chaos, un véritable torrent de forces invisibles.

Sa télékinésie, totalement débridée, frappa en tout sens, s'appropriant son environnement, annexant la matière elle-même pour la placer sous son joug, se répandant tels des tentacules s'insinuant dans la réalité depuis le corps de la mutante. Ainsi imprégnée, la structure même du bâtiment officiel se retrouva soumise à des forces auxquelles elle n'aurait jamais dû être exposée. Ondulante, vibrante, remuante, la télékinésie de Jean, exercée sans le contrôle cette dernière, appliquait son pouvoir en tout sens ... dans toutes les directions à la fois, déchirant et comprimant la matière, la frappant et la secouant inlassablement. Et plus le temps passait, plus l'énergie déployée allait grandissante.

Bientôt, le corps en lévitation et inconscient de Jean se retrouva au centre d'un maelström de débris et d'objets tournoyants, tandis qu'autour d'elle, au plus proche de l'épicentre de son pouvoir, le couloir dans lequel elle se trouvait commençait à voir des pans de murs entiers être arrachés et pulvérisés en autant de gravats qui finissaient inévitablement par rejoindre le tourbillon de déchets. Une colonne de marbre se brisa à son tour, emportée par la tourmente et rapidement réduites en fragments pas plus gros que des dés. Ce fut ensuite le plafond qui se retrouva en partie happé par les forces à l'œuvre, ouvrant une crevasse vers l'étage du dessus. A mesure que l'influence de la télékinésie de la rousse s'étendait, c'était un peu plus du bâtiment qui finissait par être englouti dans ce déchaînement de puissance.

Mais si la télékinésie de Jean pouvait s'avérer être un fléau pour la matière, sa télépathie en revanche, représentait potentiellement une sentence de mort pour l'esprit si elle n'était pas contrôlée. Les maux de tête, les chuchotements incompréhensibles mais aussi intrusifs qu'agressifs, les troubles sensoriels, tout ceci ne serait que les prémices d'un danger bien plus réel pour toute conscience qui se trouverait à la portée de son pouvoir.

Libérés de la retenue que Jean s'imposait en tout temps, ainsi que de sa discipline, ses pouvoirs devenaient à présent hors de contrôle. Sans la volonté de la rousse pour les brider et les contenir, sa télékinésie et sa télépathie semblaient se déployer dans la plus totale des anarchies, dans un chaos tumultueux que le bâtiment officiel subissait de plein fouet, tout autant que les consciences environnantes.

Suspendue comme en apesanteur, le corps inconscient de Jean flottait dans les airs. Sa chevelure rousse, comme balayée par des vents invisibles, virevoltait autour de son visage endormi. Autour d'elle, dans ce qui autrefois avait été l'un des couloirs principaux de l'édifice, s'opérait un étrange ballet de débris en tout genre. Quant au bâtiment lui-même, si proche de l'épicentre de ce phénomène télékinétique, il n'avait plus rien de sa forme d'origine. Murs, colonnes de marbre, sol dallé et plafond, tout avait été arraché, libérant un espace sphérique autour de la mutante, une zone où la structure même de la bâtisse semblait avoir été éventrée.

Dans le reste de l'édifice public, les dégâts continuaient de se propager et de s'accumuler. Par endroit, des pans entier semblaient avoir été réduits en morceaux, craquelés et morcelés en de multiples fragments. Et pourtant, la structure continuait de tenir debout, comme maintenue par une force invisible. Là où des murs entiers auraient dû tomber en un tas de gravats, ils continuaient de tenir debout. Les planchers se gondolaient, et pourtant, ils se s'éventraient pas vers les étages inférieurs. Des segments entiers d'escaliers avaient été arrachés de leur structure, mais malgré tout, restaient en place, comme suspendu par des fils invisibles. C'était comme si ... bien qu'inconsciente, Jean tentait au mieux de limiter la catastrophe en préservant autant que possible la structure du bâtiment afin de protéger ses derniers occupants.

Sur l'esplanade du bâtiment sénatorial, au delà du cordon de sécurité levé par les forces de l'ordre, la foule restait compact, dans l'attente de la suite des événements, et ceci malgré la menace d'un assassin dans les parages, ainsi que le risque que tout ne s'écroule. Mais malgré cette angoisse, tous ces gens restaient là, à attendre la suite, spectateurs mus par une curiosité frôlant le voyeurisme, les yeux rivés sur cet édifice qui se fissurait de toute part, tremblait mais ne s'effondrait pas. Enragés quelques minutes plus tôt pour certains, à vouloir à tout prix défendre leur opinion sur le sujet 'mutant', ils étaient à présent presque subjugués par ce triste spectacle. Le morbide et le sensationnel avaient toujours fasciné.

Quand soudain, de violents maux de tête frappèrent certains d'entre eux, se saisissant le crâne entre les mains, hurlant de douleur. D'autres s'effondrèrent au sol, plongés dans un coma inexplicable, avec le risque de finir piétinés à mort. D'autres encore, terrifiés, étaient sujets à des hallucinations cauchemardesques. La panique frappa de nouveau face à la violence de cette tourmente psychique qui émanait du bâtiment, se propageant dans la foule, submergeant les forces de l'ordre, dont une partie était également victime de l'attaque mentale. Dans tout le quartier, la foule paniquée se dispersa dans l'anarchie la plus totale, fuyant les alentours du bâtiment officiel.