Petite visite nocturne [pv: Rosanna]

Comment aurait-elle pu conserver sa crédibilité quand elle se retrouvait soulevée de son assise avec tant de facilité ? Rosanna ne pesait pas forcément bien lourd mais là, elle avait vraiment la sensation d’être légère et c’était, dans son esprit, assez humiliant pour qu’elle soit temporairement froissée par son comportement. Cependant comme elle s’y attendait, sa petite réprimande ne fut d’aucun effet sur son patron qui s’en amusa plus qu’autre autre. Crédibilité zéro ! Il ne la prenait même pas au sérieux dans ses propos alors qu’elle l’était en réalité. Quant à « ce faux air de maman en colère », elle se mordit l’intérieur de la joue. Effectivement, si elle n’était pas capable de convaincre Kendra, de s’occuper d’elle correctement, ce serait peine perdue de faire entendre raison à un « grand garçon ». De toute façon, elle ne pouvait pas être vraie dans un rôle de mère, elle n’était qu’une grande sœur qui n’avait pas eu d’autres choix que de prendre la relève. Elle n’avait jamais voulu avoir le rôle de la maman, par substitution. Pour toute réponse, elle soupira. De toute façon, ce n’est pas comme si on la portait souvent, donc pour cette fois, ce n’était qu’un désagréable moment à soutenir. Elle le fixait tout de même avec sérieux et elle se demanda s’il prendrait toujours ce qu’elle lui disait à la rigolade.

- Forcément, j'ai pas l'expérience de ce point de vue. Comment aurait-il fallu que je vous le dise !? Vous êtes terriblement têtu de toute façon…

Arrivée dans sa chambre, elle s’installa tranquillement en prenant le temps de décompresser, de retrouver un air plus léger. Et de ne pas lui en vouloir, surtout ne pas lui en vouloir vu que ça n’était pas bien mal. Elle savait qu’il était juste à côté en train de l’observer mais elle ignorait sa présence le temps de se mettre à son aise sous ses draps. Elle devait encore avoir un air un peu boudeur sur le visage et quand il se mit à lui parler, elle répondit avec un léger air pincé qui finalement se termina sur un ordre. Enfin ce n’était pas tant un ordre puisqu’il n’était pas obligé d’aller réellement éteindre la lumière. Enfin, c’était de sa faute, s’il ne l’avait pas porté, elle aurait éteint sur son passage. Elle reprit un sourire largement moins froid, plus malicieux et elle observa le sien en retour. Il aurait pu dire quoi que ce soit en retour mais Jore avait apparemment décidé d’obéir et elle le laissa se diriger dans le salon en acquiesçant tout doucement. Elle souffla doucement et se pelotonna sous les draps puis tira la couette jusqu’à son visage. La tête tournée vers le plafond, elle écouta les bruits dans l’appartement et constata qu’il ne faisait pas que s’occuper de la lumière. Il était bien trop long et elle aurait juré entendre de l’eau couler. Il n’avait pas à s’occuper de cela mais peu importe, c’était ça de moins à faire pour elle pour une fois. Elle tourna la tête dans sa direction quand il revint dans la pièce et lui demanda s’il comptait rester là. Elle ne comptait pas le forcer à se reposer, il pouvait faire comme chez lui et regarder la télé s’il le souhaitait par exemple. Quant au fait, de dormir dans cette chambre vu les circonstances, elle n’irait pas lui dire de dormir avec les peluches de Kendra. Bien que ça soit confortable en somme… mais le pauvre pourrait en faire des cauchemars : entre des chats roses, un ours géant mauve et tout un tas d’autres couleurs pastels.

- Comme vous voulez ! Vous ratez une expérience édifiante, la chambre de ma sœur est un univers totalement alternatif.

Elle le laissa s’installer en souriant mais c’était étrange. Elle s’était de nouveau, habituée à dormir seule depuis un moment et comme elle avait tendance à prendre pas mal de place dans son lit, elle trouvait un peu bizarre de devoir éviter de trop s’étendre pour partager son espace. Elle essaierait de pas trop bouger et s’endormir comme ça alors. Elle ferma les yeux et les rouvrit quand il se mit à parler. Il lui parla politique et on aurait presque dit qu’il confiait une légère angoisse. Ce qui surprit Rosanna qui prit un temps de réflexion pour lui répondre. Elle savait pour les élections mais elle ne doutait pas qu’il se questionne sur la politique. C’était un univers complexe parfois. Elle parla très doucement.

- Oui… j’ai entendu cela. Votre père a de l’ambition ! ... Le souci dans le monde de la politique, c’est qu’il faut être irréprochable, montrer le bon exemple, savoir se faire aimer du peuple. Enfin d’une majorité car on ne peut pas plaire à tous. C’est prendre le risque de se perdre et puis ceux qui vous assimilaient déjà à votre père, le feront encore plus. Alors comportez-vous comme bon vous semble tant que cela vous paraît correct. Ah… et évitez de vous faire vos employés…

Elle avait ajouté cela de façon moqueuse, contrairement au reste qui était parfaitement sérieux. Elle se tourna sur le côté, histoire de s’installer à son aise, glissa finalement ses bras sous son oreiller et se nicha dans celui-ci. Elle avait envie de replier le genou sur le côté mais si elle faisait ça, elle risquait de donner un coup à son chef. Elle repensa à ce qu’elle venait de lui dire : elle n’aurait pas su lui donner d’autres conseils. Elle n’était pas douée dans ce rôle. En société, elle se comportait naturellement de façon très respectueuse, très bridée. Cela ne la dérangeait plus tant que cela alors qu’elle n’était pas telle que l’image qu’elle renvoyait. Alors oui elle lui avait dit de se comporter comme il le désirait du moment que ça ne nuisait pas à l’image de son père.

- Ne vous en souciez pas, vous vous débrouillerez très bien.

CSi Rosanna avait bien compris un détail avec Jore, c’est qu’il n’admettrait pas qu’il avait tort. A moins qu’il n’ait une raison de le faire, supposa-t-elle, elle savait donc pertinemment qu’elle pouvait lui dire ce qu’elle voulait mais qu’il n’en tiendrait pas compte. Elle le notifia quand même car cela lui semblait nécessaire mais heureusement qu’elle n’attendait pas de réponse de sa part parce qu’elle n’en obtint pas plus et il s’éclipsa ensuite pour aller éteindre les lumières. Et faire la vaisselle : ce qu’elle ne lui avait pas demandé bien sûr. Durant toute la soirée, on aurait pu croire que Rosa était l’invité et c’était étrange … « être invité chez soi ». Elle l’avait juste autorisé à entrer et ensuite, il avait peu à peu pris ses aises. Peut-être un peu trop d’ailleurs et rapidement. Elle le vit revenir et elle n’avait pas l’intention de dire quoi que ce soit mais à voir le regard qu’il lui lança, elle essaya de se retenir de son mieux pour ne pas rire et elle n’y arriva pas. Ça n’aurait pas eu le même effet s’il y avait été avec plus de sérieux mais justement, le fait que ça ne le soit pas totalement, rendait l’effet comique. Elle avait bien compris le message : pas de commentaire de sa part et elle fit signe qu’elle ne dirait rien mais ça ne l’empêchait pas de sourire d’une oreille à l’autre. Durant la soirée, elle n’avait pas pensé qu’au final, elle viendrait à se coucher dans ce lit et le laisserait y dormir à ses côtés. Il y avait facilement moyen de dormir séparément. Elle comprenait bien qu’il ne veuille pas dormir dans la chambre de Kendra, mais elle aurait très bien pu s’y rendre. Bon sa sœur lui en aurait voulu ensuite mais au pire le canapé est grand. Non elle avait voulu aller dans SA chambre dans SON lit et elle se fichait bien qu’il y vienne. Elle partageait ce qui était son « territoire ». Elle s’était gentiment moquée de lui quand il avait dit ne pas vouloir se trouver avec les nounours de a cadette et il répliqua en comparaison. C’est vrai qu’il avait un petit frère. Est-ce que sa chambre était simplement dans un bazar monstre pour qu’il lui réponde cela ? Si ce n’était que ça… ça n’était pas gênant pour elle, elle trouvait que l’atmosphère qui régnait dans l’univers de sa frangine était …trop étouffant pour elle mais bon.

- Peut-être… je n’en sais rien ! Pourquoi donc, qu’est-ce qu’elle a sa chambre ?

Elle ne posait pas de questions sur sa vie normalement mais s’il lui tendait les perches, elle finirait par les attraper. Elle lui avait dit qu’elle n’était pas curieuse et elle ne s’offusquait pas s’il ne répondait pas cependant elle ne pouvait pas ignorer quand il parlait de sa famille alors elle faisait la conversation. Il écoutait beaucoup mais il ne parlait pas tant de sa vie, de sa famille. Malgré tout, la famille semblait importante à ses yeux, tout comme elle l’était pour Rose même si on ne la choisissait pas. La demoiselle se demanda comment ça se passait quand on avait à la fois des cadets et des aînés, qu’on était un intermédiaire. Quoique le jeune homme avait plutôt l’attitude d’un aîné qu’autre chose, elle comprenait pourquoi. Il lui avait dit que l’ainé était son demi-frère donc c’était un peu différent. Au fond, parfois elle aimerait bien voir qui il est et d’un autre côté, elle n’avait pas envie de s’approcher plus parce que connaître quelqu’un c’est avoir de plus en plus matière à juger. Elle n’avait pas envie que cela empiète sur la vision qu’elle avait actuellement. Du coup, le fait qu’il parle spontanément de ce qui l’animait, de ce qui le questionnait, lui parut légèrement déroutant. Elle s’efforça de lui répondre de la façon dont elle envisageait tout cela mais honnêtement qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui dire. Elle l’avait peut-être embrouillée avec ces propos ou bien, au lieu de le tranquilliser, il était stressé désormais. Non… sans doute pas. Elle bougeait doucement, comme si elle se berçait mais tout en le laissant parler et bien sûr en l’écoutant. Oui elle tendait l’oreille même fatiguée. Elle n’allait tout de même pas s’endormir alors qu’il discutait de ce qui semblait lui tenir à cœur.

- ça me semble être une éventuelle bonne idée : quelque chose de charitable apporte toujours de la sympathie. Vous voyez, vous êtes déjà pleins de ressources. Oui se faire aimer… ce n’est pas si compliqué et votre père approuvera sans doute l’initiative.

Elle bailla involontairement et n’y pensant plus ramena ses jambes sur elle-même prenant un peu plus d’espace et lui en laissant moins. Elle fatiguait de plus en plus mais elle restait éveillée pour la conversation. Et pendant ce temps, elle n’arrêtait pas de se tourner et retourner dans le lit, incapable de trouver une position qui lui convienne réellement. Normalement elle s’étale sur tout le travers !

- Et puis, pour l’image, l’important c’est une famille soudée évidemment. Ajouta-t-elle même s'il devait s'en douter fortement.

Apparemment la chambre de son frère devait être dans un bazar sans nom pour qu’il décide de ne pas en parler et qu’il dise en avoir honte. Rosanna ne comptait pas trop insister et elle sentait qu’il risquait de se refermer si elle poussait des portes où elle ne devait pas pénétrer. Après tout, si son petit frère était bordélique, ce serait indiscret d’embêter Jore là-dessus. Franchement, elle ne voulait pas vraiment se mêler des histoires avec ses frères et sœurs. Surtout avec lui parce qu’il n’avait pas trop l’air d’être à l’aise avec tout ce qui touchait sa vie privée et c’était son droit. Elle n’aimait pas tellement dévoiler sa vie privée non plus et pourtant, il s’était immiscé en plein dedans. Elle n’avait pas trop apprécié sur le coup mais c’est vrai qu’elle avait beaucoup appris à rester secrète concernant sa famille notamment. Kendra en particulier, pour la protéger évidemment mais… c’était totalement inutile au final car la jeune femme était terriblement imprudente et extrêmement sociable au point qu’elle pouvait raconter sa vie à n’importe qui : sur internet, par écrit ou bien en langue des signes. Sans doute une envie trop grande de communiquer, ce désir frustrant de parler et de voir qu’on ne peut pas. Rosa n’y pouvait rien. Une fois, elle avait pensé limiter les accès à internet, ce qu’elle n’aurait eu aucun mal à faire mais quel intérêt ? Si ce n’est que la demoiselle lui en aurait encore plus voulu de la brider, etc, etc, etc. La famille… oui c’est pas toujours simple d’en parler. Elle c’était principalement de ses parents qu’elle avait eu honte pendant un temps et puis ils étaient morts ! Ne voyant pas spécialement les autres membres de sa famille, il lui resta sa sœur. Eh bien parfois, elle se demandait comment ça se passait dans les autres familles… Concernant son patron, elle ne savait pas quelle différence d’âge le séparait de sa fratrie, ni quelles étaient les histoires de leur famille. Elle ne pouvait pas vraiment comprendre et ça n’était sans doute pas comparable à ce qu’elle vivait avec Kendra. Déjà elle, elle était le tuteur légal de sa propre sœur. Et dire qu’ici la majorité était de 21 ans ! Encore deux années de calvaire. Bref, il faisait ce qu’il voulait concernant sa famille.

- Oh d’accord, comme vous voulez.

Quant à la politique, la façon de se comporter dans ce milieu, elle n’était peut-être pas la meilleure pour donner des conseils dans ce domaine mais elle restait à l’écoute de ce qu’il lui disait et malgré tout, elle donnait son avis. Ce n’était pas forcément un bon avis mais c’en était un en tout cas. Elle se demanda ce que ça impliquerait comme changement pour lui. Pour elle, elle n’avait pas trop réfléchi à la question et il était bien trop tard pour qu’elle commence à y penser de façon plus approfondie. Elle voulait simplement l’aider à mieux appréhender les possibilités, en espérant que cela lui permettrait de voir un peu plus clair et donc à moins être stressé par le sujet. Elle en revint rapidement au sujet de la famille en fin de compte et cela sembla le faire hésiter durant un temps car il ne répondit pas aussitôt et elle manqua de s’endormir. Elle n’avait pourtant pas dit grand-chose de spécial mais elle le sentait un peu embêté : pourquoi au juste ? Il y tenait aux siens, non ? Elle se frotta les paupières doucement et elle eut énormément de mal à comprendre ce qu’il venait de lui dire. Elle ne saisit donc pas de suite pourquoi il parlait de manager. Dis donc, il changeait vite de chemises lui ! Il avait quand même un autre boulot à faire tourner… mais peu importe. S’il avait besoin, elle serait là mais elle n’était pas sûre que ce soit bien pour lui. On verrait bien de toute façon, on en était pas encore là. En tout cas, l’histoire de « rester soudés » l’avait perturbé et il crut bon de finalement lui faire part de son inquiétude. Bon sang mais qu’est-ce qu’il avait à se montrer si peu certain soudainement : était-ce l’effet des lumières éteintes ? Elle allait quand même pas le secouer par les épaules pour qu’il se reprenne ? Elle se contenta de chercher sa main, remonta le long de son bras et finalement posa sa main sur son épaule : une façon de lui faire part de son soutien.

- ça ne me dérangera pas si c’est ce que vous voulez et vous savez pertinemment que le salaire n’est pas un motif d’intéressement pour moi. Enfin… ne vous en faites pas pour votre famille : vous les aimez, non ? Que vous soyez tous solitaires, ça ne veut pas dire que si l’un de vous à un souci, vous le laisserez tomber. Je ne voulais pas dire que vous devez être toujours collé ensemble mais simplement que vous vous souciez les uns des autres.

Elle n’était pas toujours sur le dos de sa frangine et pourtant elle l’aimait et s’il se passait quelque chose pour elle, elle serait là. Voilà ce qu’elle voulait dire. Elle retira doucement sa main, le laissant tranquille avec ses pensées.