C'est avec un sourire en coin et levant les yeux au ciel que j'avais accueilli la proposition de coup de main de Billy. Je savais encore faire un café, merci bien ! Ceci dit, dans mon for intérieur je ne pus m'empêcher de le remercier chaleureusement. Au moins, je n'avais pas eu à revenir seul dans cette cuisine mal éclairée. Bien sûr, j'y avais installé des lampes supplémentaires pour composer l'éclairage d'origine faiblard, mais les ampoules avaient grillées l'une après l'autre, et je n'avais pas trouvé le temps d'aller en racheter pour le moment, donc... C'était une zone que j'évitais quand il faisait nuit. De toute façon, dès que la lumière déclinait, j'évitais de sortir de ma chambre de façon générale. Sauf quand je n'avais pas le choix, comme le matin, quand je me levais vers 4h du mat' pour aller promener Ammy, mettre les dernières touches aux pâtisseries, et mettre la boutique en place. Mais avec la chienne à mes côtés, l'obscurité me semblait déjà moins dure à affronter.
Une fois revenus dans le salon, je ne m'étais pas assis tout de suite, trop nerveux pour envisager de me poser. Nerveux à cause de plusieurs choses, certaines très différentes les unes des autres, mais définitivement nerveux. Je n'avais pas imaginé les possibles façons de poursuivre cette soirée au-delà de ce point-là. Qu'est-ce que je devais faire ? Proposer un film ? Ou bien continuer à discuter ? Quoique les deux n'étaient pas indissociables, on pouvait très bien l'un et l'autre en même temps. Certains films s'y prêtaient même plutôt bien, et j'aimais bien passer une soirée avec des amis à rire devant un navet ou un nanard. Mais là, ce n'était pas vraiment ce que je voulais obtenir comme effet...
Mes interrogations furent interrompues alors que Billy m'attrapait le poignet pour me faire asseoir sur le canapé, à côté de lui. Celle-là, je ne l'avais pas vue venir. Me détendre ? Facile à dire... La nuit n'était définitivement pas ma période préférée. C'est bien simple, dès lors que la lumière commençait à décliner, et jusqu'à ce que le soleil ne se lève, je n'était pas tranquille. C'est pour ça que je m'endormais chaque soir avec un film ou un quelconque DVD comique qui tournait en boucle, pour que je ne sois jamais dans l'obscurité et le silence le plus total. Un détail que je me gardais bien de crier sur tous les toits... Pourtant, je ris un peu à sa remarque.
- Si seulement ce n'étaient que des rats... ! Qu'est-ce que tu crois, bien sûr que ça m'inquiète d'avoir un mutant chez moi, et à vrai dire, il y a des moments où tu me fais même un peu peur. lançai-je le plus sérieusement du monde... Avant de réaliser que ce n'était pas un truc à dire, même si j'avais voulu plaisanter. Bordel, moi et ma maladresse sociale chronique ! Essayant de rattraper le truc comme je pouvais, je mêlai mes doigts à ceux de Billy, et repris un peu précipitamment. Non, bien sûr que non ! Ta présence ne m'inquiète pas le moins du monde, crois-moi. Je suis vraiment ravi d'avoir passé cette soirée avec toi, et... Ca m'a fait réaliser à quel point tu as pu me manquer durant la Purge. Je suis content que tout ça soit enfin fini et surtout que tu ailles bien.
Alors que je parlais, je lui adressais un léger sourire parfaitement honnête, et sans vraiment le réaliser, passai une nouvelle fois mon pouce sur la peau de Billy. Je ne voulais surtout pas qu'il croit que je pouvais le craindre, parce que c'était absolument faux. Je lui faisais confiance.
- Hum... Tu veux regarder un film, ou bien tu préfères rentrer chez toi ? Il commence à se faire tard, je crois...
Soyons clairs, je n'avais pas la moindre envie qu'il parte. Mais je devais me comporter en hôte civilisé et bien élevé, pas comme une espèce de timbré qui chercherait à la séquestrer. Et ce malgré le fait que pour le moment, je refusais de lâcher sa main.
Billy était, au fond de lui, plutôt fier d’avoir réussi à arracher un petit rire à Rick et, pourtant, il se tendit légèrement à ses paroles, et ses doigts resserrèrent imperceptiblement leur étreinte sur ceux du français. Est-ce qu’il avait bien compris ce qu’il venait de dire ?... Est-ce qu’il était… Pire que des rats ? En colère, le confrériste aurait pu l’être, mais c’est plutôt la peine qui sembla soudainement l’accabler, bien qu’il ne le montre pas. Evidemment qu’il était inquiétant. Il était un mutant, et vous avez vu ce qu’on fait les mutants ? Et puis, il venait de le lui avouer, cash : il lui arrivait de lui faire peur. Billy ne se souvenait pourtant pas avoir abusé de sa mutation devant lui. En fait, il n’était même pas sûr de l’avoir utiliser plus d’une fois en sa présence, puisqu’il lui avait avoué être un Homo Superior lorsqu’il a été poussé à ses derniers retranchements et que le pâtissier lui apparaissait comme son seul espoir. Il lui faisait peur. Parfois. Le Voyageur luttait pour ne pas laisser son visage se décomposer, pour garder une expression la plus neutre-joyeuse possible.
Il lutta jusqu’à baisser les yeux vers les doigts de Rick qui se mêlaient au sien, et ses paroles précipitées lui semblait être un baume. Quoi, était-ce de l’humour français, ces dures paroles dit avec tant de sérieux ? C’est tout ce qu’il espérait. Il n’appréciait pas forcément ce genre d’humour, mais soit. Ça lui allait, tant que Rick ne le craignait pas réellement. Lorsqu’il releva les yeux vers le pâtissier, le sourire tout à fait honnête qui se dessinait sur son visage, et son pouce qui caressait sa peau acheva de le faire craquer. Pour un peu, il l’embrasserait. Oh, pas que ce soit l’envie qui manque, loin de là, mais… On ne sautait pas sur les gens comme ça, hein ? Puis imaginez que Rick le repousse, il aurait une excellente raison d’avoir peur de Billy et de ne plus vouloir de lui, mutant ou pas. Le confrériste s’apprêtait à lui répondre, mais Rick fut plus rapide. Et il eut un gros doute sur l’humour des français.
« Je… »
Est-ce que Rick essayait de se débarrasser de lui ? Est-ce qu’il s’agissait-là d’une façon tout à fait poli de le mettre à la porte, de lui faire comprendre que ce n’était plus une heure pour traîner chez les gens et qu’il devait rentrer chez lui ? Cette fois, ses doutes durent se lire sur le visage du mutant, qui n’eut pas le temps de prendre le soin de forger une expression toute faite pour parer sa surprise… Et pourtant, être comédien était de son ressort. Il plongea son regard dans celui de Rick et se demanda, un instant, s’il allait restait bêtement sans rien dire d’autre que ce pathétique « Je ». Il sentait toujours les doigts du pâtissier emmêlés au sien et, sans le lâcher, il anéantit l’espace qu’il restait entre eux pour le prendre dans ses bras et le serrer contre lui, quelques secondes, avant de murmurer ;
« Moi aussi, je suis heureux que tout ça se soit bien terminé pour toi. Pour nous. Et tu m’as énormément manqué… Alors, sauf si je te dérange, que tu préfères dormir ou je ne sais quoi encore… Je suis pour le film. Ou pour rester. Je peux me faire invisib… Je veux dire, je peux ne pas faire de bruit. Mais j’ai pas envie de rentrer, là, tout de suite… »
Option cash. Il n’avait pas envie de rentrer, il était même prêt à passer toute la nuit tout seul sur ce canapé, et préparer les pancakes au petit-déjeuner. Mais si Rick voulait vraiment le mettre à la porte, eh bien il s’en irait. Billy le relâcha, attendant une quelconque réaction de sa part. La distance qu’il avait laissé entre leur deux visages étaient décidément indécente, mais Billy avait abandonné toute idée de décence depuis le moment où il avait repris la main de Richard. Il était prêt à voir tous les films qu’il détestait pour ne pas quitter l’appartement de son ami, mais ça ne tenait qu’à Rick de bien vouloir de lui ou non. Encore que. Billy était capable de revenir à son insu, parfaitement invisible…
Bon sang, ce que je pouvais être bête... Enfin, bête peut-être pas. Mais très maladroit, ça, c'était une certitude ! J'aurais dû savoir avant même de prononcer ces mots que ce n'était pas quelque chose à dire. Non mais franchement, à quoi je pensais ? C'était du même niveau que si quelqu'un me reprochait de... De... D'être roux, tiens ! Non non, ma métaphore n'est pas bancale, c'est juste que je n'ai rien d'autre pour comparer... Bon sang, comme je pouvais m'en vouloir d'avoir sorti un truc pareil... Certes, il garda un visage somme toute relativement neutre, mais je ne suis pas idiot. J'ai bien senti que mes mots l'avaient blessé, et pour ça, je m'en voulais. Parce qu'il ne m'avait jamais fait peur, ne m'avait même jamais inquiété. Enfin si, mais pas dans ce sens-là. Je m'étais inquiété pour lui, ça oui. J'avais eu peur que la Purge ne lui mette le grappin dessus, ça oui. Mais non, sa mutation ne m'avait pas dérangé, pas un seul instant. Avant même qu'il ne m'avoue être un mutant, j'avais déjà des doutes. Il faut dire que Billy avait semé deux trois indices, par-ci par-là... Volontairement, à n'en pas douter.
J'avoue que je ne lui laissai pas vraiment le temps de répondre, et que j'enchaînais les phrases un peu vite... Mais c'était toujours ce que je faisais, lorsque j'étais nerveux. Et là je l'étais. Je m'attendais à ce qu'il me fasse gentiment remarquer que je devrais peut-être arrêter de raconter n'importe quoi, ou bien à ce qu'il me dise qu'il devrait s'en aller au vu de l'heure tardive, mais... Mais non. Au lieu de ça, il me prit dans ses bras, et moi j'étais trop surpris sur le coup pour le lui rendre. Rien que ça aurait suffit à empourprer mes joues, mais ce qu'il dit ensuite ne fit qu'en rajouter en couche. Je crois que mes neurones oscillaient entre le surproductivité et la grève générale. Le résultat était un peu étrange... Et je me retrouvais à ne pas savoir quoi faire. Perdu ? Oh que oui, je l'étais totalement ! Et pas qu'un peu, je vous le garantie. Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire, et les options se bousculaient dans ma tête à un rythme assez impressionnant... Seulement, j'avais relativement peur de faire une grossière erreur. Et le problème avec ces erreurs-là, c'est qu'elles peuvent coûter gros... Je ne voulais pas perdre Billy parce que je me serais fait des idées, et pourtant... Pourtant, c'est comme si je n'avais eu aucun contrôle ce qui suivit.
Sur un coup de tête, sans réfléchir, j'avais couvert l'espace presque insignifiant qui restait entre nos deux visages pour déposer mes lèvres sur les siennes. A peine quelques secondes, quelque chose de tout à fait innocent, mais... Ca suffit à me faire paniquer, une fois mon cerveau remis en marche correctement. Bon Dieu mais qu'est-ce que je venais de faire, exactement ?! Lâchant la main de Billy, je me levai et commençai à faire nerveusement les cent pas, passant une main dans ma tignasse rousse, tout en marmonnant un flot de mots confus parfois en Anglais, parfois en Français. Passé une bonne minute comme ça, je finis par arriver à m'arrêter -pas forcément plus calme que ça ceci dit- et me tournai à nouveau vers le mutant, pour lui adresser des excuses d'une voix encore incertaine :
- Je suis désolé, je ne sais pas ce qui m'a pris... Enfin si, je sais, mais c'est pas la question là, et de toute façon j'aurais pas dû faire ça, j'ai... Bref, m'en veux pas pour ça, s'il te plaît, j'agis parfois de façon stupide, et je veux pas que ça en fasse pâtir notre amitié, je tiens trop à toi pour te perdre d'une façon aussi bête... !
J'aurais voulu pouvoir me cacher sous un meuble. Tiens, pour le coup ça aurait pratique d'être un mutant ! Le genre qui peut se changer en souris pour se planquer dans un coin et se faire oublier...
Dire que Billy n’avait pas eu le maigre espoir, dans un recoin de son esprit, de goûter aux lèvres de Rick en ne laissant que si peu d’espace entre eux aurait été un beau mensonge. Il n’aurait d’abord su dire si Rick l’avait réellement entendu, ou s’il avait fait disjoncter quelque chose dans son cerveau. Peut-être n’aurait-il pas dû tant insister, après tout, car voilà qu’il semblait embêter le français, qui cherchait probablement comment lui dire, à nouveau poliment, de partir. Le pâtissier se décida pourtant à franchir les quelques centimètres qui les séparaient pour venir poser ses lèvres sur celle du mutant, légèrement surprit malgré tout. Surpris, mais heureux – et, quelques part, soulagé.
Le temps qu’il réagisse, qu’il amorce un mouvement pour poser sa main sur la joue du pâtissier et l’embrasser, Rick avait déjà lâché sa main et sauté hors du canapé, plus loin, faisant les cents pas en prononçant précipitamment une suite de mot mélangeant anglais et français, qu’il ne comprenait qu’une fois sur trois et ce dans n’importe laquelle des deux langues. Le Londonien du futur le regarda faire sans bouger, plus décontenancé qu’autre chose. Finalement, les excuses que lui lançait le français, qui semblait avoir totalement perdu le contrôle de la situation, lui tira un léger sourire amusé. Il se leva rapidement pour rejoindre son ami.
Il n’hésita pas longtemps, posant ses mains de part et d’autre du visage de Rick pour l’embrasser avec fougue, avant de l’emprisonner dans ses bras. Au moins, si Rick avait fait une erreur regrettait son geste, ils seraient deux dans le faux. Séparant leurs visages, il nicha un instant le sien dans le cou de Rick, avant de poser son menton sur son épaule.
« Je ne vois pas pourquoi je t’en voudrais, Rick. »
Il se détacha légèrement du corps du français, sans pour autant le lâcher. Un sourire ravi flottait sur son visage, alors qu’il détaillait l’humain sous un nouvel angle. Il savait ce qu’il lui avait pris… N’y avait-il pas une sorte de déclaration sous-jacente à ces paroles ? Comment pouvait-il le rassurer, lui assurer que – non – il n’était pas en train de profiter de lui ou d’un moment de faiblesse ? Fallait-il mettre un nom à ces émotions qui l’agitaient depuis quelques temps alors même qu’il n’avait osé retourner le voir ? Il y avait bien une raison à toute l’anxiété emmagasinée durant la Purge qui ne concernait par sa propre vie, et il tenait actuellement cette raison entre ses bras. Il ne voulait plus le lâcher.
« Notre amitié ne va pas en pâtir… Elle pourrait juste… Evoluer ? » L’une de ses mains remonta vers l’épaule de Rick pour s’amuser avec ses bouclettes, murmurant d’une petite voix cette possibilité qui, il fallait l’avouer, plairait bien au confrériste. « Enfin, si ça te dis… Je ne veux pas non plus te perdre. On a survécu à la Purge, ça serait vraiment trop bête… » Et je n'aurais plus qu'à partir en vacances loin, pendant longtemps ?... Ses yeux remontèrent vers ceux de Rick, et se fixèrent aux siens.
Une nouvelle fois, je me sentais idiot. Le roi des idiots, même. Mais quel mouche avait bien pu me piquer, bon sang ? D'accord, il me plaisait. Il me plaisait même beaucoup, mais ce n'est pas une raison pour lui sauter dessus comme ça ! Si tout le monde faisait comme moi, ce serait rapidement le... Bordel généralisé, là je crois que l'expression ne saurait être plus juste. Et puis on ne m'avait pas éduqué comme ça, qu'est-ce que c'était que ces manières ? Adulte de presque quarante ans ou non, si ma mère m'avait vu agir d'une telle manière, vous pouvez parier sans risque de vous planter que je m'en serais pris une. Il était hors de question que mon comportement puisse entacher le nom de notre famille, et ce de n'importe quelle manière que ce soit. Et quelque part, je la comprenais. Malgré moi, j'avais aussi cette fierté ancrée au fond de moi, et je détestais qu'on traîne mon nom dans la boue. ... Mais là, c'était moi qui avais gaffé !
Le truc, c'est que j'étais tellement plongé dans mes réflexions un brin paniquées que je n'avais pas réalisé l'air décontenancé du mutant, pas plus que je n'avais remarqué qu'il s'était levé lui aussi, pour venir vers moi. A vrai dire, je ne remis les pieds sur terre que lorsqu'il se retrouva juste devant mon nez. Je ne bougeai pas d'un pouce lorsque ses mains se posèrent de part et d'autre de mon visage... Pour m'offrir un baiser passionné. Surpris et un peu désarçonné durant les premiers instants, j'avais rapidement repris mes esprits, et y avait répondu avec la même ardeur. C'était comme si un poids m'était soudainement retiré, je me sentais tellement léger sur le moment que j'avais peur de trop bouger. Comme si le moindre mouvement risquait de m'envoyer trop loin. ... Je sais, je suis bizarre. De toute façon, où vouliez-vous que j'aille, avec les bras de Billy autour de moi ? Je n'avais pas envie de m'éloigner, je n'allais pas m'en plaindre, ceci dit, bien loin de là. Mouais, c'est bien ce que je suspectais. J'adorais l'avoir contre moi. Sentir son visage dans le creux de mon cou me fit légèrement frissonner, et un sourire s'esquissa sur mes lèvres, tandis que je levais une main pour lui caresser les cheveux et la laissai glisser vers sa nuque, l'enlaçant à mon tour de mon autre bras. C'est en silence que je l'écoutai parler, me contentant de sourire tout du long, légèrement. Pour le moment, les mots restaient comme bloqués dans ma gorge, et je ne trouvais pas le moyen de les libérer. Je le laissai jouer avec mes mèches rousses, opinant un peu du chef. Et comment que je voulais que notre amitié évolue ! Je ne voulais pas qu'il m'échappe, je ne voulais pas que quelqu'un d'autre me le vole avant que je me décide à faire un pas vers lui, et surtout je ne voulais pas que, dans l'affreuse optique où il lui arriverait quelque chose, il disparaisse de ma vie sans savoir à quel point il comptait pour moi. Je n'étais pas encore prêt à placer des mots sur ce que je ressentais, mais ce que je savais de source sûre, c'est qu'il était hors de question de le laisser filer maintenant.
Comme un geste vaut mieux que mille mots, pour toute réponse j'amenai ma main qui se trouvait jusqu'à présent sur sa nuque sur sa joue, et l'embrassai tendrement. Lorsque je daignai relâcher ses lèvres, j'écartai à peine mon visage du sien. Et puisque tout de même il valait mieux répondre quelque chose de plus constructif que ça, je chuchotai :
- En tout cas, ça ne me dérangerait absolument pas que tu passes d'ami à petit-ami. Bien au contraire. Sourire aux lèvres, je lui dérobai vite fait un léger baiser, avant de lui prendre la main et l'entraîner avec moi sur le canapé. Cette soirée n'aurait pas pu mieux se dérouler, vraiment. Encore tout sourire sans que j'y puisse grand chose, j'attrapai ma tasse de café et en pris une gorgée. Je reportai ensuite à nouveau mon attention sur lui.
- Il y a des avantages à sortir avec un pâtissier, en plus. Tu ne seras jamais à court de gâteaux ou autres trucs du genre.
Il aimait sentir le corps de Rick entre ses bras. S’ils mesuraient plus ou moins la même taille, le pâtissier était plus fin que lui et il n’avait aucun mal à le tenir dans ses bras et l’enlacer fermement. Il avait su qu’il avait vu juste, qu’il ne s’était pas trompé au moment où Rick répondit à son baiser. Comme quoi, un tout petit égarement de la part d’un homme pouvait conduire à d’heureux dénouement. Et Billy voulait que tout ça « évolue ». Parce que ça aurait très bien pu rester là, comme ça. Combien de fois, ces dernières années, le patron du Queen’s Hotel avait eu des relations « qui en restaient là », des aventures sans lendemain parce que s’impliquer dans une relation ne l’intéressait pas ?... Force était d’avouer que le Voyageur avait mûrit. Ou qu’il avait tout simplement trouvé une personne « intéressante ». Toujours est-il qu’il était fini, le temps de la décadence, et qu’il se sentait prêt à se consacrer entièrement à Rick.
D’ailleurs, celui-ci tardait à lui répondre, mais son silence n’inquiétait pas Billy. Le français avait même passé un bras autour de sa taille et son autre main caressait sa nuque. Il ne s’inquiétait pas du silence du pâtissier, car il savait qu’il n’y avait plus rien à craindre. Un peu trop sûr de lui ? Au vue de la situation, c’était amplement justifié. Lorsque la main de Rick vint se poser sur sa joue, il laissa un sourire s’étirer sur ses lèvres avant de répondre à son tendre baiser. Lorsque Rick reprit la parole, leur visage était encore si proche l’un de l’autre que Billy posa son front contre celui de l’homme, avec un sourire. Ça ne dérangerait pas le moins du monde le mutant de passer d’« ami » à « petit ami ». Le nouveau baiser que vint rapidement lui voler Rick avant de l’attraper par la main fit empourprer ses joues. Il était tout simplement adorable. Billy se laissa entraîner sur le canapé et se cala contre lui, avant de l’imiter et d’attraper sa tasse, remuant doucement le liquide foncé avec un sourie ravi avant d’en prendre quelques gorgées.
« Eh bien… Moi aussi, ça me va. Ça me convient parfaitement. »
Billy déposa un baiser sur la joue de son petit ami, tout sourire. Se blottissant mieux contre Rick en évitant de trop le secouer pour ne pas lui faire renverser son propre café – ni le sien d’ailleurs – le confrériste reposa sa tête sur son épaule et laissa sa main libre se poser sur la cuisse du français, le caressant doucement du pouce.
« Hm, tu sais, s’il n’y avait que les gâteaux qui m’intéressaient... Ça ferait longtemps que je les ferais livrer au Queen’s.»
Pour un peu, Billy serait bien restait là toute la nuit. Ce n’était peut-être pas la position la plus agréable pour son dos, mais il pourrait s’endormir tout contre Rick, ici, plutôt que de rentrer chez lui – à condition qu’il rentre – que ça ne le gênerait pas. Un bruit d’explosion, assez léger, mais qui semblait pourtant proche, le fit sursauter et renverser le contenue de sa tasse sur eux, alors que dans un réflexe par encore effacé il sautait sur ses pieds, reposait un peu brusquement la tasse sur la table basse, devenait invisible et allait ouvrir la fenêtre. Son cœur battait un peu trop vite dans sa poitrine alors qu’un coup d’œil dans la rue lui apprenait que quelques jeunes (touristes, sans doute ?) s’amusaient avec des pétards. Il redevint lentement visible, et posa quelques secondes son front sur ses bras croisés, se calmant, avant de refermer la fenêtre, et de se tourner vers Rick.
« Rien a signaler. Désolé. J’ai encore quelques mauvais réflexes… » Il sourit doucement, avant de revenir vers le français. « Et je suis désolé pour ton Tshirt… »
Et pour sa chemise, d’ailleurs, qui avait virée au marron. Billy pinça doucement les lèvres en baissant les yeux vers son habit trempé, et en se disant qu’heureusement, le café n’était plus si chaud que ça. Et, mon dieu, quel idiot il se sentait de réagir aussi promptement pour… Pour rien. Heureusement qu’il n’y avait que Rick, car il aurait trahit son statut de mutant, et il rechignait encore à le dire à tout le monde. D’ailleurs… Devait-il dire à Rick qu’il appartenait aussi aux Confréristes ? Non. Il ne voulait en aucun cas commencer à lui faire peur. Doucement, la gêne laissa place à un nouveau sourire, puis a un petit rire. Il n’y avait aucune raison de devenir anxieux… N’est-ce pas ?
Très franchement, je crois que cette soirée n'aurait pas pu mieux se dérouler. Et même la journée de façon générale, à bien y repenser ! Le matin-même, je m'étais levé en espérant enfin revoir Billy, ou au moins avoir de ses nouvelles, de plus en plus inquiet qu'il ne soit à déplorer parmi les trop nombreuses victimes de la Grande Purge, et... Voilà que je me retrouvais, le soir de cette même journée, niché dans les bras du mutant et, je pouvais le dire sans crainte de toute évidence, en couple avec ce dernier. Que demander de plus ? Rien qui me vienne à l'esprit sur le moment, en tout cas ! Tiens, mais d'ailleurs... Combien de temps cela faisait que je n'avais pas eu de relation qu'on pourrait qualifier de sérieuse, exactement ? Attendez un peu que la mémoire me revienne... Ah oui. Je me souviens. Un véritable con fini qui m'avait bien mené en bateau. Voilà pourquoi j'avais préféré oublié. Après une expérience aussi malheureuse que celle-ci, d'aucuns seraient devenus méfiants, et moins enclins aux nouvelles rencontres. La perspective d'une nouvelle relation les rebuteraient sûrement. Et à raison, j'ai envie de dire ! Mais ce n'était pas mon cas, fort heureusement. Naïf, moi ? Non, je dirais plutôt optimiste. Et puis, ce n'était pas comme si Billy était un inconnu rencontré la veille dans un bar douteux ou quelque chose de ce genre, au contraire, on se connaissait depuis un bon moment maintenant. Comme l'avait si bien dit lui-même, notre amitié n'avait fait qu'évoluer, au final... Ce qui n'était pas pour me déplaire.
Paisiblement, nous nous installâmes sur le canapé, pour boire le café que tout ceci nous avait quelque peu fait délaisser. J'esquissai un sourire au baiser qu'il déposa sur ma joue, puis le laissai s'installer correctement contre moi, avant de passer un bras autour de lui, comme pour marquer une sorte de... D'appartenance ? Même s'il n'y avait personne à qui faire passer le message. Mais que voulez-vous, quand on est possessif, hein... Bien sûr c'était aussi une marque d'affection, tout de même ! A mon tour, je déposai un baiser, mais au travers de ses cheveux. Au passage, je tiens à signaler à quel point je peux aimer son odeur, d'ailleurs... Hum.
A sa remarque, je ne répondis que d'un léger rire. Ca, ce n'était pas tout à fait faux. C'est vrai que parfois je craignais qu'on s'intéresse à moi seulement pour mes pâtisseries, et honnêtement pendant un temps j'ai cru que c'était le cas de Billy. Heureusement, les évènements à suivre me donnèrent tort. Sans vraiment y prêter attention, la main que j'avais posée contre sa hanche se mit à le caresser évasivement. Là, je dois l'avouer, je me sentais bien. Tranquille, et apaisé. Enfin... Jusqu'à ce que la bande de sales mioches qui traînaient dans le coin ces derniers temps trouve judicieux de faire sauter un pétard quasiment sous ma fenêtre, comme les trois soirs précédents. Si moi j'étais habitué... Ce n'était à l'évidence pas le cas de mon petit-ami, qui renversa le café sur nous en sursautant (par chance il n'était pas bouillant), avant de bondir sur ses pieds comme un chat sur lequel on aurait renversé un seau d'eau froide et... De disparaître. Ah tout de même. J'avais beau savoir qu'il pouvait le faire, le voir s'effacer de la sorte restait quelque chose de très perturbant. Je clignai des yeux à plusieurs reprises, et pus le repérer grâce à la fenêtre, qui non, ne pouvait définitivement pas s'être ouverte toute seule. Puis, progressivement, je le vis réapparaître, avant qu'il ne se tourne à nouveau vers moi pour s'excuser. Je lui adressai un petit sourire en coin, et me levai pour le rejoindre.
- Ne t'inquiète pas, il n'y a pas mort d'homme. Ca se rattrape très bien. le rassurai-je d'une voix posée tandis que, le plus naturellement du monde, je déboutonnai sa chemise pour la lui retirer. Je vais mettre ça à la machine avant que ça sèche, après c'est l'horreur à laver sinon. Après l'avoir embrassé au coin des lèvres, je quittai donc le salon pour me rendre dans la salle de bain -allumant toutes les lumières sur mon passage bien soigneusement- et fourrai la chemise tâchée de café ainsi que mon tee-shirt dans la machine à laver, que je mis immédiatement à tourner. Avant de revenir dans le séjour, je fis un crochet par ma chambre, pour y récupérer deux tee-shirts propres, dont l'un que je fis attention de prendre un peu plus grand, étant donné que Billy avait une carrure un peu plus importante que la mienne. J'enfilai l'autre directement, étant plutôt frileux de nature et ne tenant pas à me promener torse-nu plus longtemps.
Une fois de retour, j'allai tendre le vêtement à mon petit-ami, me passant une main sur la nuque.
- Du coup, je pense que ce serait plus raisonnable que tu passes la nuit ici, parce que bon... La machine sera terminée d'ici une petite heure et demi, mais je n'ai pas de sèche-linge, donc... Enfin, sauf si ça te dérange et que tu préfères que je te ramène ta chemise plus tard.
Honnêtement, j'aurais voulu l'avoir encore rien que pour moi pendant un bon moment. Par pur égoïsme. Mais s'il voulait s'en aller... Qui étais-je pour le retenir ?
Qu’il se sentait bête. Et quelle magnifique impression il devait donner de lui. Ce n’était la meilleure chose qu’il ait fait de sa vie – renverser du café, disparaître. En général, c’est ce qu’on faisait après une grosse dispute : on lance la boisson, disparait et claque la porte en sortant. Ou c’est ce qu’on faisait lorsqu’on voulait se débarrasser d’un amant qui s’accrochait un peu trop. Quoi ? Oui, Billy l’avait peut-être fait, une fois. Il y a plusieurs années. Mais aujourd’hui, ce n’était pas son but. Il aurait largement préféré rester collé à Rick, à profiter de sa chaleur et lui conter fleurette.
Heureusement, son petit-ami ne lui en tint pas rigueur. En moins de deux, il l’avait rejoint et l’avait assuré qu’il n’y avait pas de mal. Billy baissa le visage et le regard vers Rick alors qu’il n’hésitait pas avant de déboutonner sa chemise, avec plus d’innocence que l’état latent dans lequel s’était plongé le mutant, retenant son souffle avant que bouger – tout de même – pour l’aider à faire passer le vêtement le long de ses bras. Un baiser déposé au coin de ses lèvres, et il ferma un instant les yeux. Un sourire amusé glissa sur ses lèvres. Adorable. Il n’avait pas fini de le penser.
Billy n’attendit pas très longtemps mais resta sagement debout, ses bras croisés frottant doucement sa peau pour la réchauffer. Ou pour se cacher un peu. Non qu’il soit réellement pudique ou quoi que ce soit, mais le mutant avec une certaine image de lui qui – disons – le complexait légèrement quand il y pensait trop. Malgré le sport qu’il pouvait faire (même sans que ça soit une réelle activité sportive, être confrériste est parfois fatiguant), et bien… Le sucre restait là. Un peu. Il n’avait pas à se plaindre, loin de là, il affichait un torse plutôt musclé (comme son corps, en fait), mais… Son ventre ne durcissait pas comme il le voulait. Il n’était pas gros, ça ne se voyait pas – ou à peine – mais lui le savait…
Le retour de Rick chassa ses pensées bien loin, alors qu’il observait un instant le nouveau tee-shirt qu’il avait mis, attrapant celui qui lui était tendu. Il douta un instant de pouvoir rentrer dedans, au vu de leur carrure, mais le français avait apparemment pensé à tout car il ne s’y sentait même pas serré. Un large sourire barrait son visage alors qu’il se sentait comme un gamin à qui on venait d’offrir un nouveau jouet : il portait un vêtement de son petit-ami, avec l’odeur de son petit-ami (ou, du moins, sa lessive), et ça suffisait à le rendre joyeux. A moins que – au vu de la taille – ça ne soit plutôt le vêtement de… D’un de ses ex ?... Non. Billy ne voulait pas y songer. Rick était à lui, peu importe ce qu’il y a eu avant, il est à lui à présent. Point.
« Tu sais, tu peux me le dire si tu veux me séquestrer et me garder ici toute la nuit. » lança-t-il avec tout le sérieux dont il était capable, braquant son regard sur celui du pâtissier. « Mais je veux bien me faire séquestrer plus encore ! » finit-il par lâcher avec un petit gloussement en attrapant Rick et le faire basculer dans ses bras pour lui voler plusieurs baisers. « Je crois que j’ai toujours rêvé de faire ça. ». Ses yeux pétillaient alors qu’il gardait le français contre lui. Pas sûr que celui-ci appréciait de se faire porter comme une plume, mais ça ne le préoccupait pas réellement. « Tu sais, je... »
… Viens du futur. Oui, cela avait failli lui échapper. Pas que l’envie lui en manque, d’ailleurs, au contraire. Il aimerait partager ce lourd secret avec quelqu’un, mais il ne devait pas se précipiter. Il ne voulait pas que Rick le prenne pour un fou, et entre lui dire qu’il était confrériste où qu’il venait du futur, le choix était vite fait. En pleine hésitation, il pinça doucement les lèvres, puis déposa un dernier baiser sur les lèvres de son prisonnier avant de le reposer au sol.
« Merci pour tout. »
Depuis combien de temps connaissait-il le pâtissier français ? Assez longtemps pour pouvoir lui faire confiance, tout de même. A vrai dire, il se souvenait même de la première fois où il était rentré dans la pâtisserie. C’était une époque plus ou moins décadente – et il devait avouer l’avoir déjà trouvé mignon, et avoir essayé pendant un laps de temps relativement court de l’attirer dans son lit. Et la première fois qu’il avait passé sa porte – deux fois d’affilés dans la même journée – il n’avait pas trente ans. Il était le seul « homme lambda » à qui il avait révélé sa mutation, et il s’en était fallu de peu qu’il ne lâche tout en même temps. Alors il pouvait bien ?... Et s’il riait et pensait à une blague ? Ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère. Billy avait gardé les mains de Rick entre ses doigts, les yeux baissés sur leurs mains, et échappa un soupire ;
« Il faut que je te dise quelque chose... Avant que… Enfin… Pour qu’on puisse avancer, tous les deux, ensemble… » Ces mots sonnaient chaudement à ses oreilles. C’est ce dont il avait le plus envie. Prenant une légère inspiration, il finit par prendre son courage à deux mains et se lança : « Je ne viens pas exactement... D’ici. Je n’ai pas de famille, pas d’héritier, rien, ça… Tu le sais déjà… Et pourtant… » Il releva doucement le regard vers son petit-ami alors qu’il serrait presque nerveusement ses mains, de peur qu’il lui échappe soudainement. « Aucun d’entre eux n’est mort, Rick. Mes parents… Ne sont peut-être pas encore né. Et moi, je… Je suis né en 2064. » Il pensait que dévoiler le secret de son existence le soulagerait, mais cela semblait être tout le contraire. « Je viens du futur… » souffla-t-il doucement en cherchant dans le regard de Rick s’il le prenait pour un fou, s’il lui faisait peur ou…
« Je viens du futur, mais je n’y retournerai pas. Je ne le peux pas. Je ne peux pas retourner à l’époque que j’ai quittée, et j’ai besoin de toi, Rick. J’ai besoin que tu me crois, parce que c’est la vérité. C’est la vérité et ça fait vingt ans que je la garde pour moi. J’ai besoin de toi, Rick, et de tout façon, je veux pas rentrer chez moi… Je veux rester avec toi. Mais il fallait que je te prévienne… » le souffle court d’avoir balancé ces paroles d’une traite, l’inquiétude perçait dans sa voix. Il ne voulait pas voir ce bonheur qui se profilait à l’horizon lui filer entre les doigts – oui, il était tombé amoureux, en plein dedans, comme un gamin. Il avait déjà livré un secret à Rick, il ne s’en était pas voulu, loin de là… Il espérait qu’une fois encore, ça serait le cas.
Au risque de me répéter, je me sentais vraiment bien. A vrai dire, je ne m'étais plus senti aussi bien depuis... Un bon moment. Il n'y a pas à dire, le sentiment d'aimer et d'être aimé en retour, il n'y a rien de mieux, à mon sens. Je me souviens que lorsque j'étais jeune, j'avais tendance à me moquer des clichés dans le genre de "l'amour donne des ailes", et tout ces trucs du même acabit. Si seulement j'avais su que c'était vrai, j'en aurais moins ri ! J'avais l'impression qu'il ne pouvait rien m'arriver de mal, à cet instant précis. Le fait que mon petit-ami soit un mutant jouait peut-être là-dedans, allez savoir... Si certains trouveraient ça effrayant, c'était loin d'être mon cas. En fait... Dès les premiers instants j'avais trouvé ça fascinant. Que ce soit chez Billy ou chez un autre, à vrai dire. C'était captivant ces êtres pourtant si proches de nous qui avaient en eux des pouvoirs exceptionnels comme ça... Je ne pouvais que vaguement tenter d'imaginer ce qu'ils devaient ressentir. J'étais curieux. Curieux, mais pas effrayé. Même si parfois, je l'avoue, il y a certains mutants dont je ne voudrais pas croiser la route...
Le sourire qui illuminait le visage du mutant alors qu'il enfilait le tee-shirt que je lui avais apporté m'en arracha un à mon tour. Je me demandais ce qui pouvait bien le ravir à ce point là-dedans, mais au fond, peu importait, non ? Le voir sourire suffisait à me réchauffer le coeur. Mes joues prirent une légère couleur rouge à ses paroles. Le séquestrer, moi ? Mais non, voyons ! ... Quoique, l'idée n'était pas pour me déplaire... Non mais qu'est-ce qui me prenait, là ? Eh, on se reprend, Rick. Le regard parfaitement sérieux qu'il gardait fixé sur moi ne m'aidait pas à me calmer, mais... Heureusement, son ton redevint presque immédiatement plus léger, et... Bon Dieu, il venait de me faire quoi, là, exactement ? Attendez, deux minutes... Par réflexe, mes bras s'étaient accrochés à son cou alors qu'il me faisait basculer, tout en me serrant contre lui, puis me ravissait plusieurs baisers, avant de se redresser, me tenant toujours dans ses bras et... Au dessus du sol. Oh non, pas ça... Je détestais qu'on me porte. Question de fierté, je crois... Mais je détestais ça. Cette fois-ci, je ne dis rien, ne voulant pas briser ce moment par une dispute partie d'un truc idiot alors qu'il pensait me faire plaisir. Je lui ferai seulement remarquer en douceur, un pu plus tard...
La phrase que Billy ne termina pas me fit froncer les sourcils. Qu'avait-il donc à me dire qui le fasse tant hésiter ? Ce devait être important. Honnêtement, j'avais un peu peur de ce qui allait suivre... Mon imagination commençait déjà à me faire envisager les pires scénarios possibles, ce dont je me serais bien passé. C'est donc en silence et l'air soucieux que je l'écoutai me raconter que... Qu'il venait du futur. Rien que ça. D'accord, d'accord... Attendez, il se moquait de moi là, ou quoi ? C'était possible un truc pareil ? Si ça venait de quelqu'un d'autre, de n'importe qui d'autre, je l'aurais très mal pris. Parce que je penserais qu'on essayait de se payer ma tête, chose que je détestais au plus haut point. Mais là, il ne s'agissait pas du premier venu, c'était Billy. Et l'honnêteté que je voyais se refléter dans ses yeux, qui me toisaient avec un mélange de crainte et d'espoir, me faisait dire qu'il ne mentait pas.
Seulement... Une telle information faisait beaucoup à encaisser. Sans brusquerie, je détachai mes mains des siennes pour les passer dans ma crinière rousse tandis que je me remettais à faire les cent pas, comme à chaque fois que j'étais perturbé, ou quelques chose me tracassait, les mains sur la nuque et le regard sur mes pieds. Il avait beau dire qu'il ne pourrait pas y retourner et qu'il voulait rester ici... Avec moi... Etait-ce vraiment gravé dans la roche ? J'avais peur qu'un jour il ne se lasse de sa famille ou même des gens qu'il connaissait là-bas, dans son époque, et qu'il essaie d'y retourner. Ca peut paraître idiot, mais je ne supporterais pas qu'il m'abandonne.
Après quelques minutes d'une profonde réflexion, durant laquelle j'avais soigneusement pesé le pour et le contre, je finis par prendre ma décision. Une décision idiote, que certains n'auraient certainement pas cautionnée, mais c'était la mienne, et je n'en démordrai pas. Peu importe ce qu'elle me coûterait. Avec un petit soupir, je reviens vers Billy pour poser une main sur sa joue et mon front contre le sien, fermant les yeux.
- Même si ça paraît totalement dingue... Je te crois. Je te crois, et... Je ne sais pas trop quoi te dire, mais tu n'as pas à t'inquiéter, ça ne change rien pour moi. Je... T'aime. Voilà ce qui me brûlait les lèvres mais refusait obstinément de sortir. La dernière fois que j'avais dit ça, les choses avaient très mal tournées pour moi... Et je ne pensais pas que même deux à trois ans plus tard, ça puisse m'être resté comme ça. Je tiens énormément à toi. Et je ne veux pas que tu penses le contraire.
Bon... J'avais mieux géré la situation que je ne l'aurais cru. Ceci dit, j'espérais qu'il en avait fini avec les révélations pour ce soir, parce que sinon je crois bien que j'allais lui claquer entre les pattes d'une syncope... Rouvrant les yeux, je lui volai un léger baiser, avant de retirer ma main de sa joue pour la faire glisser le long de son bras, jusqu'à ce qu'elle trouve celle de Billy. Une pensée me traversa l'esprit, et me fit esquisser un sourire. Je n'avais pas de grand secret à lui révéler, mais il avait tellement fait preuve d'honnêteté avec moi depuis qu'on se connaissait que je lui devais bien ça... Et puis, en tant que petit-ami, il allait être directement concerné par mes... Problèmes, dirons-nous.
- Tu me fais penser que j'ai quelque chose à te dire, moi aussi. Rien d'aussi fantasque que toi, mais... Il vaut mieux que tu sois au courant. Je suis un claustrophobe, aquaphobe et kénophobe notoire. Et je ne dis pas ça à la légère, tu ne me verras jamais me baigner, ne serait-ce que dans une mare ou une piscine, pas plus que je ne suis jamais dans le noir complet. Ca me fait littéralement paniquer...
Pourquoi avait-il ouvert la bouche, déjà ? Voilà que Rick avait lâché ses mains et faisait les cents pas avec un air paniqué. Et Billy était lui-même était sur le point de céder à la panique. Il savait qu’il aurait dû se taire, ça faisait trop, trop d’un coup. Il voulait juste que Rick cesse de bouger, se calme, lui réponde. N’importe quoi ; il accepterait n’importe quelle parole… Pas forcément sans essayer de se défendre, dans le cas où Rick ne le croirait pas. Où voudrait le mettre à la porte. Il avait trop attendu ce moment pour tout gâcher soudainement. Il aurait dû y penser avant, avant même que les mots ne glissent sur sa langue et ne s’échappent de ses lèvres. Que pouvait-il faire, à présent, à part attendre en priant silencieusement que son pâtissier lui revienne ? Le regard bas, osant à peine croire qu’il pourrait être pris au sérieux, mais agité par un furieux espoir… Le mutant ne se rendait pas réellement compte, sans doute, de ce que cette révélation pouvait impliquer autour de lui. Pouvait-il réellement donner l’assurance à son petit-ami qu’un beau jour, si l’occasion lui était présentée, il n’allait pas retourner chez lui ?... Oui. Oui, il en était persuadé, sûr de lui. Il avait grandi ici, loin de ses parents, et sa vie n’était plus dans le futur. Même s’il y retournait, il aurait quasiment leur âge ?... Rick devait le comprendre, comprendre qu’il n’y avait pas d’avenir pour lui en 2080.
Ce ne fut pas encore une délivrance lorsque Rick revint prendre son visage entre ses mains, et posait son front contre le sien, les yeux fermés. Billy s’autorisait à respirer, mais il attendait que le français lui dise quelque chose. Le mutant repassa timidement ses bras autour de la taille, pour le garder contre lui, baissant ses yeux pour observer son visage fermé. Puis le soulagement, enfin. Les paroles de son petit-ami lui ôtèrent tout le poids qui pesait sur ses épaules depuis tant de temps. Il sentait pourtant son anxiété, ce qu’il pouvait essayer de comprendre. Comment aurait-il réagit si c’était Rick qui lui avait dit venir du futur ? Il aurait eu peur qu’on le lui enlève. Comme il avait parfois eut peur, surtout pendant la Purge, que le pâtissier rentre en France, définitivement…
« Merci… » souffla-t-il doucement avec un sourire sincère. « Tu sais, je suis… Parti quand j’avais 16 ans. Je ne peux pas rentrer car nous n’avons pas la technologie, ici. De toute façon, rentrer pour quoi ? J’aurai le même âge que mes parents. Je n’ai plus aucun avenir là-bas, ma vie est ici. Je ne veux pas que tu t’inquiètes à propos de ça… D’accord ? J’avais juste besoin de… De me confier à quelqu’un. Mais, s’il te plaît, ne craints jamais de me voir repartir en 2080… » Billy ferma yeux, et resserra son étreinte quelques secondes, avant de le relâcher en douceur. « Je le sais, et je ne vois pas pourquoi je pourrais penser le contraire… »
Il était sincère. Comment aurait-il pu douter de l’affection que lui portait Rick ? Il lui faisait confiance, il s’avait qu’il le pouvait. Les yeux mi-clos, il laissa son sourire s’agrandir alors que son petit-ami lui dérobait un baiser, et laissait glisser sa main le long de son bras jusqu’à trouver sa main. Le mutant la serra doucement entre ses doigts, et pencha légèrement la tête sur le côté, écoutant les paroles de Rick avec curiosité.
« C’est donc pour ça… » lâcha-t-il doucement pour lui-même, sans réellement s’en rendre compte.
C’était donc pour cela que, lorsqu’il avait parfois passé de longues nuits à observer l’appartement de dehors, il avait pu remarquer qu’il n’était jamais complètement éteint. Rien à voir avec quelques insomnies. Et l’eau ?... Billy évitera de l’amener à la plage, alors. Il aurait bien aimé crâner sur sa planche de surf, mais il voudrait éviter que Rick ne meure d’une crise cardiaque… Il nota cela dans un coin de son esprit, hochant doucement la tête. Sa question « Et les bains ? » resta coincée en travers de sa gorge. Ce n’était pas le moment, mais elle méritait d’être posée un jour (quoi, il ne pouvait pas refuser un bain avec lui, hm ?... Non, je vous arrête, ne regardez pas Billy comme ça). Il préféra plutôt lui offrir un sourire assuré en plongeant son regard dans le sien.
« Je suis là, et je te protègerai de tout ce dont tu as peur. » murmura-t-il, peut-être un peu vainement. Que pouvait-il lui offrir hormis sa présence contre l’obscurité et l’eau ? Il releva doucement le menton de son petit-ami pour l’embrasser tendrement, avant de glisser sa main sur sa taille. Il n’avait plus envie de lâcher Rick, en fait. Le garder contre lui, sentir les battements de son cœur, sa respiration paisible. Billy réfléchit quelques instants, avant de faire basculer le français sur le canapé, y tombant avec lui tout en faisant attention à ne pas lui faire mal.
« Je t’aime, Rick. », lança-t-il alors joyeusement, avec un accent français qu’il qualifierait lui-même de plutôt moyen – mais assez fier d’avoir su le lui dire dans sa langue maternelle.